Un long chemin vers la liberte
pour m’allonger sur mon lit pendant je ne sais combien de temps ; je ne suis pas allé dîner. Certains ont jeté un coup d’œil dans ma cellule. Finalement, Walter est venu me voir et s’est agenouillé près de mon lit ; je lui ai tendu le télégramme. Il n’a rien dit, il m’a simplement pris la main. Dans un tel moment, un homme ne peut rien dire à un autre.
J’ai demandé l’autorisation d’assister à l’enterrement. En tant que père, j’avais la responsabilité de m’assurer que l’esprit de mon fils reposerait en paix. J’ai dit aux autorités qu’elles pouvaient envoyer une escorte de sécurité avec moi et que je leur donnais ma parole que je reviendrais. Elles ont refusé. J’ai simplement eu le droit d’écrire à la mère de Thembi, Evelyn ; j’ai essayé de la consoler en lui disant que je partageais sa souffrance.
J’ai repensé à un après-midi, alors que Thembi n’était qu’un enfant ; il était venu me voir dans une planque à Cyrildene que j’utilisais pour un travail de l’ANC. Entre mes activités clandestines et mon travail d’avocat, je n’avais pas pu le voir depuis un certain temps. Je l’avais surpris portant une de mes vieilles vestes qui lui descendait jusqu’aux genoux. Il devait trouver une consolation et une certaine fierté à mettre les vêtements de son père, comme je l’avais fait autrefois avec ceux de son grand-père. Au moment où j’allais lui dire au revoir, il s’était levé et, comme un grand, il m’avait dit : « Je m’occuperai de la famille quand tu seras parti. »
NEUVIÈME PARTIE
Robben Island
Le début de l’espoir
71
La courbe de l ’ amélioration de la vie en prison n ’ était jamais stable. Les progrès s ’ arrêtaient et s ’ accompagnaient régulièrement de retours en arrière. La moindre avancée pouvait prendre des années et être annulée en une journée. Nous faisions rouler le rocher en haut de la colline simplement pour le voir redescendre. Mais les conditions s ’ amélioraient cependant. Nous avions remporté une foule de petites victoires qui, additionnées, entraînaient un changement d ’ atmosphère dans l ’ île. Nous ne dirigions pas le pénitencier mais les autorités ne pouvaient pas le diriger sans nous et, après le départ de Van Rensburg, notre vie devint plus tolérable.
Au bout de trois ans passés sur l’île, on nous a donné des pantalons. En 1969, nous avons reçu des uniformes personnels de prisonniers, au lieu d’avoir des vêtements différents chaque semaine. Ces uniformes nous allaient bien et nous avions le droit de les laver nous-mêmes. Pendant le week-end, nous pouvions sortir dans la cour à n’importe quelle heure. Nous n’avions pas toujours une nourriture égale, mais les prisonniers africains recevaient parfois du pain le matin. De toute façon, nous avions le droit de mettre notre nourriture en commun, si bien que les différences ne comptaient plus. On nous avait donné des échiquiers, des damiers et des cartes et nous jouions le samedi et le dimanche. A la carrière, nous parlions presque tout le temps. Si le commandant venait, les gardiens sifflaient pour nous avertir de reprendre nos pioches et nos pelles. Nous avions neutralisé les pires des gardiens et nous étions amis avec les plus raisonnables, même si les autorités s’en apercevaient et les faisaient tourner chaque mois.
Nous pouvions nous retrouver ensemble à peu près quand nous le voulions. Les réunions du Haut Commandement, les assemblées générales, les rencontres d’Ulundi n’étaient en général pas interrompues sauf quand elles manquaient par trop de discrétion. Les détenus, et non les autorités, semblaient diriger la prison.
Sévères et élevés dans la crainte de Dieu, les Afrikaners prennent leur religion au sérieux. L’événement de la semaine était le service religieux du dimanche matin. Pour les autorités, il était obligatoire qu’on y assiste. On avait l’impression que leur âme mortelle aurait été en péril s’ils ne nous avaient pas fait profiter du culte dominical.
Ainsi, chaque dimanche matin, le pasteur d’une Eglise différente venait prononcer un sermon devant nous ; un anglican, puis un pasteur de l’Eglise réformée hollandaise, ou un méthodiste. Ils étaient recrutés par les services de la prison qui leur donnaient comme consigne de ne parler que de questions religieuses. Des gardiens étaient présents à tous les
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