Un long chemin vers la liberte
et bougeais mon pion. Don trouvait cela énervant ; il m ’ appelait Qhipu plus par irritation que par amitié.
Don et moi faisions beaucoup de tournois et, même quand il avait gagné, il revenait quelques minutes plus tard me proposer une nouvelle partie. Il voulait toujours jouer et ne semblait satisfait que si j’avais accepté. Bientôt, je passais tellement de temps à jouer avec Don que mes autres activités en souffraient. Une fois, je ratai un examen et quand des compagnons me demandèrent pourquoi, je leur répondis en riant : « Don Davis ! »
Notre petite compagnie de théâtre amateur jouait à Noël. Ma carrière d’acteur, en sommeil depuis mon interprétation de John Wilkes Booth à Fort Hare, connut un réveil modeste à Robben Island. Nos spectacles étaient ce que nous pourrions appeler aujourd’hui minimalistes : pas de scène, pas de décor, pas de costumes. Nous n’avions que le texte.
Je n ’ ai joué que rarement, mais j ’ ai tenu un rôle mémorable : celui de Créon, le roi de Thèbes dans l ’ Antigone de Sophocle. En prison, j ’ avais lu quelques pièces grecques que j ’ avais trouvées particulièrement exaltantes. J ’ en avais retenu que le caractère se mesurait dans les situations difficiles et qu ’ un héros ne pliait pas, même dans les circonstances les plus dures.
Quand on a choisi Antigone, j ’ ai proposé mes services, et j ’ ai demandé à jouer Créon, le vieux roi qui mène une guerre civile pour le trône de sa chère cité-Etat. Au début de la pièce, Créon est sincère et patriote, et ses premiers discours sont remplis de sagesse quand il suggère que l ’ expérience est le fondement du pouvoir et que les obligations envers le peuple l ’ emportent sur la loyauté envers un individu.
« Mais comment pourrait-on juger l’âme d’un homme, ses sentiments, ses intentions, tant qu’il n’a pas connu l’épreuve du pouvoir ni édicté des lois {25} . »
Or Créon traite ses ennemis sans pitié. Il a décrété que le corps de Polynice, le frère d ’ Antigone, qui s ’ est révolté contre la cité, ne mérite pas de sépulture. Antigone se révolte, parce qu ’ il existe une loi plus élevée que celle de l ’ Etat. Créon n ’ écoutera pas Antigone, comme il n ’ écoute personne sauf ses démons intérieurs. Son inflexibilité et son aveuglement ne conviennent pas à un chef, qui doit tempérer la justice avec la pitié. Antigone symbolisait notre lutte ; en fait, elle représentait à sa façon un combattant de la liberté : elle défiait la loi parce qu ’ elle était injuste.
72
Certains gardiens commencèrent à engager la conversation avec nous. Je n ’ ai jamais fait le premier pas, mais s ’ ils m ’ interrogeaient, j ’ essayais de leur répondre. Il est plus facile d ’ éduquer un homme quand il veut apprendre. Généralement, ils posaient leurs questions avec une sorte d ’ exaspération : « D ’ accord, Mandela, qu ’ est-ce que tu veux exactement ? » Ou : « Ecoute, tu as un toit au-dessus de la tête, tu as de quoi manger, pourquoi est-ce que tu fais autant d ’ histoires ? » Alors je leur expliquais notre politique. Je voulais démythifier l ’ ANC, détruire leurs préjugés.
En 1969 arriva un jeune gardien qui semblait vouloir me connaître. J’avais appris par la rumeur que les nôtres à l’extérieur préparaient mon évasion et qu’ils avaient infiltré un gardien dans l’île pour m’aider. Petit à petit, ce jeune homme me fit comprendre son intention.
Par bribes, il m’expliqua son plan : un soir, il droguerait les gardiens de service au phare pour permettre à un bateau de s’approcher de la plage. Il me donnerait une clef pour sortir de notre section et rejoindre le bateau. Là, on me fournirait une tenue de plongée, afin que je puisse gagner le port du Cap à la nage. Du Cap, on me conduirait jusqu’à l’aéroport, d’où je sortirais du pays.
Je l’ai écouté patiemment, sans lui dire à quel point je trouvais ce plan irréalisable et peu sûr. J’en ai parlé à Walter et nous sommes convenus de ne pas faire confiance à ce type. Je ne lui ai jamais dit que je ne bougerais pas, mais je n’ai accompli aucune des phases de mise en application du plan. Il dut comprendre, car on le transféra bientôt.
Il apparut que ma méfiance était justifiée, car plus tard nous apprîmes que ce gardien était un agent du BOSS (Bureau
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