Un long chemin vers la liberte
suite le problème.
Il n’y avait qu’une chose à faire : aussi discrètement que possible, nous nous sommes mis à creuser tous les quatre, là où devaient se trouver les deux petits paquets. Nous avons réussi à les déterrer assez rapidement, et nous avons rebouché les trous. Sauver le troisième paquet aurait demandé plus de temps, mais nous étions sûrs qu’ils ne le trouveraient pas parce qu’ils ne déplaceraient pas la canalisation pour construire le mur.
Eddie n’allait pas à la carrière ce jour-là et nous lui avons confié les deux paquets en lui demandant de les détruire le plus vite possible. Eddie a accepté en prenant un très grand risque. Je me suis senti soulagé de savoir ce problème réglé et j’ai essayé de ne pas penser à la troisième partie en travaillant.
Quand nous sommes revenus de la carrière cet après-midi-là, au lieu de me laver comme je le faisais d’habitude, je suis allé au bout de la cour. J’essayais d’avoir l’air détendu mais j’ai été effrayé par ce que j’ai vu. Les prisonniers avaient creusé une tranchée parallèle au mur du quartier d’isolement et ils avaient sorti la canalisation. Ils ne pouvaient pas ne pas avoir trouvé le manuscrit.
J’ai dû reculer ou réagir d’une façon facile à remarquer. Sans que je le sache, des gardiens m’observaient, et plus tard, ils ont dit que ma réaction confirmait que je savais que le manuscrit s’était trouvé là. Je suis revenu dans le couloir pour me laver et j’ai dit à Walter et à Kathy qu’ils avaient tout découvert. Eddie avait réussi à détruire les deux autres paquets.
De bonne heure, le lendemain, le commandant m’a convoqué à son bureau. Un haut fonctionnaire du service des prisons qui venait d’arriver de Pretoria se tenait à côté de lui. Sans du tout me saluer, le commandant a déclaré : « Mandela, nous avons trouvé votre manuscrit. »
Je n’ai pas répondu. Alors le commandant a sorti de son bureau une liasse de papiers.
« C’est votre écriture, n’est-ce pas ? » m’a-t-il demandé. Je suis resté silencieux.
« Mandela, a dit le commandant en s’énervant un peu. Nous savons que ce manuscrit est à vous.
— Alors, ai-je répondu, vous devez le prouver. » Cela les a fait rire, et ils m’ont dit qu’ils savaient que les notations en marge étaient de Walter Sisulu et d’Ahmed Kathrada. J’ai répété qu’ils devaient le prouver s’ils avaient l’intention de nous sanctionner.
« Nous n’avons pas besoin de preuves, a dit le commandant. Nous l’avons, la preuve. »
On ne nous a pas donné de sanction ce jour-là mais, quelque temps plus tard, Walter, Kathy et moi avons comparu devant le général Rue, le commissaire adjoint des prisons, qui nous a dit que nous avions abusé du privilège de faire des études pour écrire illégalement ce manuscrit. En conséquence, on nous retirait définitivement ce privilège. En fait, cela a duré quatre ans.
Quand Mac a été libéré en décembre, il a envoyé les carnets en Angleterre. Il a passé les six mois suivants assigné à résidence avant de quitter clandestinement le pays pour aller voir Oliver à Lusaka et se rendre ensuite à Londres. Il y est resté six mois ; avec une dactylo il a reconstitué le manuscrit. Puis il est revenu à Lusaka pour en donner un exemplaire à Oliver.
A partir de là, on en perd la trace. Lusaka ne m’a pas parlé du manuscrit et je ne sais pas exactement ce qu’Oliver en a fait. Il n’a pas été publié pendant mon séjour en prison, mais c’est cette première version qui forme la base du présent texte.
79
En 1976, j ’ ai reçu une visite extraordinaire : Jimmy Kruger, le ministre des Prisons, un membre important du gouvernement. Il n ’ avait pas seulement une grande influence sur la politique des prisons, mais était également très critique sur la façon dont le gouvernement traitait le problème de la lutte de libération.
J’avais une idée de la raison de sa visite. Le gouvernement venait d’engager un effort capital pour réussir sa politique de développement séparé et de homelands « quasi indépendants ». La pièce maîtresse de cette politique était le Transkei, dirigé par mon neveu et ancien bienfaiteur, K.D. Matanzima, qui avait écrasé presque toute opposition. Je me souvenais que le commandant m’avait dit récemment, sur le ton de la plaisanterie : « Mandela, vous devriez partir en
Weitere Kostenlose Bücher