Un long chemin vers la liberte
rapidement, et j’ai terminé un avant-projet en quatre mois. Je n’hésitais pas sur le choix d’un mot ou d’une phrase. J’ai couvert la période allant de ma naissance au procès de Rivonia, et j’ai terminé avec quelques notes sur Robben Island.
Je revivais mes expériences en les racontant. Ces nuits-là, alors que j’écrivais en silence, je retrouvais les spectacles et les bruits de ma jeunesse à Qunu et à Mqhekezweni ; la joie et la peur lors de mon arrivée à Johannesburg ; les tempêtes de la Ligue de la jeunesse ; l’attente sans fin du procès de trahison ; le drame de Rivonia. C’était comme un rêve éveillé et j’essayais de le transférer sur le papier aussi simplement et aussi fidèlement que je le pouvais.
Mac dissimulait ingénieusement la copie du manuscrit à l’intérieur de la reliure de carnets de notes qu’il utilisait pour ses études. De cette façon, il put sauver la totalité du texte et réussit à le sortir en fraude quand on le libéra en 1976. L’accord voulait que Mac nous indique secrètement quand le manuscrit serait en sûreté à l’extérieur du pays ; nous ne détruirions l’original qu’à ce moment-là. En attendant, nous devions en cacher les cinq cents pages. Nous fîmes la seule chose possible : nous l’avons enterré dans le jardin de la cour. La surveillance était relâchée et sporadique. En général, les gardiens restaient assis dans un bureau de la partie nord et parlaient entre eux. Depuis ce bureau, ils ne pouvaient pas voir la partie sud près du quartier d’isolement où il y avait un petit jardin. J’avais inspecté ce coin sans en avoir l’air, en faisant ma promenade matinale, et j’avais décidé d’y enterrer le manuscrit.
Afin de ne pas avoir à creuser un trou trop profond, nous avons décidé d’enterrer le texte en trois endroits séparés. Nous l’avons divisé en deux petits paquets et un plus gros, chacun enveloppé dans du plastique, et placé dans une boîte de Coca-Cola vide. Il fallait faire vite et j’ai demandé à Jeff Masemola de nous fabriquer quelques outils pour creuser. Quelques jours plus tard, j’avais plusieurs piquets de métal pointus.
Un matin, après le petit déjeuner, Kathy, Walter, Eddie Daniels et moi nous sommes éloignés lentement vers la partie sud de la cour comme pour avoir une discussion politique. Trois d’entre nous avaient un morceau du manuscrit sous leur chemise. A un signal, nous nous sommes baissés et nous avons creusé. J’ai fait un trou près du regard d’une canalisation. Quand j’ai atteint le tuyau, j’ai dégagé un espace en dessous et j’y ai placé le plus gros des trois paquets. Les autres ont creusé deux trous moins profonds.
Nous avons terminé juste à temps pour nous mettre en rang et partir à la carrière. Ce matin-là, en marchant, je me sentais soulagé de savoir que le manuscrit était en sûreté. Et je n’y ai plus pensé.
Quelques semaines plus tard, juste après le premier appel, j’ai entendu dans la cour un bruit qui m’a inquiété : celui de pelles et de pioches dans la terre. Quand nous avons pu sortir de nos cellules pour aller nous laver, je suis allé au bout du couloir et j’ai réussi à regarder à l’extérieur. Là-bas, dans la partie sud de la cour, il y avait une équipe d’ouvriers de la section générale. J’ai eu peur parce qu’ils creusaient à l’endroit où nous avions caché le manuscrit.
Les autorités avaient décidé de construire un mur devant le quartier d’isolement car elles avaient découvert que les prisonniers qui s’y trouvaient pouvaient communiquer avec nous dans la cour. L’équipe creusait une tranchée pour les fondations.
Pendant la toilette, j’ai réussi à prévenir Walter et Kathy. D’après Kathy, la plus grosse partie du manuscrit que j’avais enterrée sous la canalisation était sans doute en sécurité, mais les deux autres étaient plus menacées. Quand on a apporté les fûts du petit déjeuner, les gardiens qui surveillaient l’équipe d’ouvriers leur ont donné l’ordre de sortir de la cour, afin d’empêcher toute fraternisation avec les prisonniers politiques.
Avec notre bol de bouillie à la main, j’ai emmené Walter et Kathy vers la partie sud de la cour, comme si je voulais leur dire quelque chose en privé. La tranchée était alors déjà très proche des deux plus petits paquets. Eddie Daniels nous a rejoints et a compris tout de
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