Un long chemin vers la liberte
rôle que m’assignerait l’ANC.
J’ai dit à la presse qu’il n’y avait aucune contradiction entre mon soutien à la lutte armée et ma demande de négociations. C’était la réalité et la menace de la lutte armée qui avaient amené le gouvernement au seuil des négociations. J’ai ajouté que, quand l’Etat cesserait d’imposer la violence à l’ANC, l’ANC répondrait par la paix. Interrogé sur les sanctions, j’ai dit que l’ANC ne pouvait pas encore en demander la levée, parce que la situation qui les avait entraînées au départ – l’absence de droits politiques pour les Noirs – était toujours la même. J’avais certes quitté la prison, mais je n’étais pas encore libre.
On m’a aussi interrogé sur les peurs des Blancs. Je savais que les gens s’attendaient à ce que je manifeste de la colère envers eux, or je n’en avais aucune. En prison, ma colère envers les Blancs s’était apaisée mais ma haine envers le système s’était accrue. Je voulais que l’Afrique du Sud voie que j’aimais jusqu’à mes ennemis tout en haïssant le système qui avait fait naître notre affrontement.
Je voulais que les journalistes comprennent bien le rôle essentiel des Blancs dans tout nouveau système.
J’avais toujours essayé de ne pas perdre cela de vue. Nous ne voulions pas détruire le pays avant de l’avoir libéré, et chasser les Blancs aurait ruiné la nation. J’ai dit qu’il y avait un juste milieu entre les peurs des Blancs et les espoirs des Noirs, et nous, à l’ANC, nous le cherchions. « Les Blancs sont des compagnons sud-africains, ai-je dit, et nous voulons qu’ils se sentent en sécurité et qu’ils sachent que nous apprécions à sa juste valeur leur contribution au développement de ce pays. » Tout homme ou femme qui abandonne l’apartheid sera englobé dans notre lutte pour une Afrique du Sud démocratique et non raciale ; nous devons tout faire pour persuader nos compatriotes blancs qu’une nouvelle Afrique du Sud non raciale sera un meilleur endroit pour tous.
Dès la première conférence de presse, j’ai remarqué que les journalistes avaient autant envie de connaître mes sentiments personnels et mes relations que mes conceptions politiques. Cela était nouveau pour moi ; quand j’étais entré en prison, aucun journaliste n’aurait pensé à me poser des questions sur mon épouse, ma famille, mes émotions et mes moments les plus intimes. Même s’il était compréhensible que la presse puisse s’intéresser à ce genre de choses, je n’en éprouvais pas moins de la difficulté à y répondre. Je ne suis pas et n’ai jamais été un homme pour qui il est facile de parler de ses sentiments en public. On me demandait souvent ce qu’on ressentait en retrouvant la liberté ; je faisais de mon mieux pour décrire l’indescriptible sans vraiment y parvenir.
Après la conférence de presse, la femme de l’archevêque Tutu nous téléphona de Johannesburg pour nous dire que nous devions prendre l’avion et arriver tout de suite. Winnie et moi avions espéré passer quelques jours de détente au Cap, or le message nous disait que les gens commençaient à s’agiter et que si je ne revenais pas directement ce serait le chaos. Nous sommes allés à Johannesburg le soir même, mais on m’a informé que des milliers de personnes entouraient ma maison, 8115 Orlando West, qu’on avait reconstruite, et qu’il ne serait pas prudent d’y aller. Je désirais passer ma seconde nuit de liberté sous mon toit. A la place, avec Winnie, nous avons dormi dans la banlieue nord, chez un partisan de l’ANC.
Le lendemain matin, nous nous sommes rendus en hélicoptère au stade de la First National Bank, à Soweto. Nous avons survolé la métropole grouillante de maisons « boîtes d’allumettes », de bidonvilles, de routes boueuses, la cité mère des Noirs d’Afrique du Sud, le seul endroit où je m’étais senti un homme avant d’aller en prison. Soweto s’était agrandi et, dans certains endroits, était devenu prospère, mais l’écrasante majorité de la population continuait à vivre dans une pauvreté effrayante, sans eau ni électricité, en menant une existence qui était une honte dans une nation aussi riche que l’Afrique du Sud. Dans beaucoup d’endroits, la pauvreté était bien pire que lors de mon entrée en prison.
Nous avons tourné au-dessus du stade, survolant quelque 120 000 personnes, et avons
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