Un long chemin vers la liberte
grande maison d’après les critères de Soweto, mais pour moi, elle n’avait ni signification ni attrait lié aux souvenirs. En outre, à cause de sa taille et de son coût, elle semblait peu adaptée à un responsable du peuple. J’ai rejeté ces conseils aussi longtemps que j’ai pu. Je ne voulais pas seulement vivre parmi mon peuple, mais comme lui.
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Ma première responsabilité consista à faire un compte rendu à la direction de l ’ ANC, et le 27 février, alors que j ’ avais quitté la prison depuis plus de quinze jours, je suis allé à Lusaka à une réunion du Comité national de direction. Ce fut merveilleux de retrouver de vieux camarades que je n ’ avais pas revus depuis des décennies. Un certain nombre de chefs d ’ Etat africains y assistaient également et j ’ eus quelques brefs entretiens avec Robert Mugabe du Zimbabwe, Kenneth Kaunda de Zambie, José Eduardo dos Santos d ’ Angola, Quett Masire du Botswana, Joaquim Chissano du Mozambique et Yoweri Musaveni d ’ Ouganda.
Si les membres du NEC étaient heureux de ma libération, ils voulaient aussi jauger l’homme qui sortait de prison. Je pouvais lire la question dans leurs yeux. Mandela était-il le même que celui qu’on avait emprisonné vingt-sept années plus tôt, ou était-ce un Mandela différent, assagi ? Avait-il survécu ou avait-il été brisé ? On leur avait parlé de mes conversations avec le gouvernement et ils étaient inquiets à juste titre. Non seulement je n’avais pas eu de contacts avec la situation sur le terrain, mais depuis 1984 je n’avais même pas pu communiquer avec mes camarades en prison.
J’ai expliqué avec soin et précision la nature de mes discussions avec le gouvernement. J’ai décrit mes exigences et les progrès accomplis. Ils avaient vu le mémorandum que j’avais adressé à Botha et à De Klerk, et compris que ce document suivait la ligne politique de l’ANC. Je savais qu’au cours des dernières années certains prisonniers libérés étaient venus à Lusaka et avaient déclaré : « Mandela s’est assagi. Les autorités l’ont acheté. Il porte un costume trois-pièces, boit du vin et mange de la bonne cuisine. » Je connaissais ces rumeurs mais je les réfutais. Je savais que pour les réduire à néant il me suffisait de dire honnêtement et directement ce que j’avais fait.
Lors de cette réunion du NEC, on m’a élu vice-président de l’organisation, et Alfred Nzo, secrétaire général, a été nommé président par intérim pendant la convalescence d’Oliver. Au cours de la conférence de presse qui a suivi la réunion, on m’a interrogé sur une suggestion du Dr. Kaunda, très ancien soutien de l’organisation, selon laquelle l’ANC aurait dû suspendre les opérations armées à l’intérieur de l’Afrique du Sud maintenant que les autorités m’avaient libéré. J’ai répondu que si j’appréciais le jugement et le soutien du Dr. Kaunda, il était trop tôt pour suspendre la lutte armée car nous n’avions pas encore atteint l’objectif pour lequel le peuple avait pris les armes ; j’ai dit que la tâche de l’ANC ne consistait pas à aider Mr. De Klerk à apaiser ses partisans de droite.
Ensuite, j’ai entrepris un voyage dans de nombreux pays. Dans les six premiers mois qui ont suivi ma libération, j’ai passé plus de temps à l’étranger qu’en Afrique du Sud. Presque partout où je suis allé des foules enthousiastes m’attendaient, à tel point que malgré ma fatigue les gens m’encourageaient. A Dar es-Salaam, on a estimé la foule à un demi-million de personnes.
Mes voyages me plaisaient énormément. Je voulais voir de nouveaux – et d’anciens – paysages, goûter d’autres nourritures, parler avec des gens de toutes sortes. J’ai dû m’acclimater très vite à un monde radicalement différent de celui que je venais de quitter. A cause des changements dans les voyages, les communications et les mass media, le monde s’était accéléré ; les choses arrivaient maintenant si vite qu’il était parfois difficile de ne pas être dépassé. Winnie essayait de me faire ralentir mais il y avait trop de travail ; l’organisation voulait tirer tout le bénéficie de l’euphorie qu’avait créée ma libération.
Au Caire, le lendemain d’une rencontre privée avec le président égyptien Hosni Moubarak, je devais m’adresser à un grand meeting dans une salle. Quand je suis arrivé, la foule
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