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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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langue et les lèvres,
un bruit incongru à l'adresse du bon curé.
    Ensuite,
elle prend des feuilles à dessin dans son tiroir, des ciseaux.
Elle découpe autant de petits papiers qu'il en faut pour
écrire, un mot sur chacun, la lettre de Cet Homme, au soir du
6 janvier 1917.
    Elle
fait le vide sur la table. Elle aligne dans l'ordre tous les petits
papiers. Elle les déplace et les replace pour retrouver ce
code, l'Ascenseur, dont Célestin Poux lui a parlé. Le
mot-repère de Cet Homme et de sa Mariette, elle ne le connaît
pas, elle se fie à ce nom inconnu des gens de Cabignac :
Bernay.
    À
une heure, Bénédicte et Sylvain ont l'estomac qui
réclame. Elle leur dit de déjeuner sans elle, qu'elle
n'a pas faim. Elle boit au goulot de sa bouteille d'eau minérale.
À deux heures, Bénédicte vient dans la chambre,
Mathilde répète qu'elle n'a pas faim, qu'on lui fiche
la paix. À trois heures, elle n'a
toujours pas trouvé, les chats n'en font qu'à leur
tête, elle les chasse de la pièce. À quatre heures, sur sa table, les mots sont alignés ainsi :

    Chère épouse,
    Je
t'écris cette lettre pour t'avertir
    que
je serai sans t'écrire un moment. Dis au
    père
Bernay que je veux tout réglé pour le
    début
mars, sinon tant pis pour lui. Il
    nous
vend son engrais trop cher. Je pense
    malgré
tout qu'il fera l'affaire.
    Dis à mon titou que je
l'embrasse fort
    et
que rien de mal ne peut lui arriver pourvu
    qu'il
     écoute sa maman chérie. Moi, je
connais
    encore
     personne d ' aussi bon. Je t'aime,
    Benoît
    À
la verticale du mot Bernay, on peut lire, de haut en bas :
    Je serais Bernay mars. Vend tout. Dis rien. Écoute
personne. Benoît

    Mathilde reste un moment immobile, avec quelque chose dans le cœur
qui doit ressembler à de l’orgueil d'avoir réussi
son tableau, toute seule, comme une grande, un tableau où
n'importe quoi d'autre qui ferait facilement venir les larmes si l'on
en s'empêchait pas de s'attendrir sur soi. Elle dit qu'elle
n'est pas encore au bout de ses peines et que maintenant, elle a
faim. Elle agite sa clochette.
    À
Bénédicte qui vient souriante, sans doute parce que son
quartier-maître, en passant, lui
a caressé les fesses, elle demande de l'excuser pour son
impatience de tout à l'heure, qu'on lui apporte un sandwich au
jambon de Bayonne avec beaucoup de beurre et Sylvain en guise de
moutarde. Bénédicte répond que si Matti
savait comme elle-même la traite parfois dans son for
intérieur, elle ne s'excuserait pas.
    Quand
Sylvain arrive, avec le sandwich, long à faire peur, et un
verre de saint-émilion, Mathilde a rangé les petits
papiers, sorti du coffret en acajou les notes qu'elle a prises en
1919 et qui le concernent directement. Comme d'habitude, il s'allonge
sur le lit, les mains sous la nuque, arrachant ses sandales l'une
après l'autre à la seule aide de ses pieds. Elle lui
demande, la bouche pleine :
    “Quand
tu es allé au meublé de la rue Gay-Lussac t'informer
sur Mariette Notre-Dame, les propriétaires t'ont bien dit
qu'en partant avec son bébé, ses cachotteries et ses
bagages, elle a pris un taxi pour la gare de l'Est ? C”est
pas la gare du Nord, d'Orléans ou de Vaison-la-Romaine ?

    Il
répond que si elle a pris des notes quand il le lui a dit,
elle peut en être sûre, mais qu'en plus, même après
cinq ans, il s'en souvient très bien.
    Mathilde
avale une grande bouchée de son sandwich. Elle dit :
“J'ai noté aussi que les deux fois où Mariette
Notre-Dame est partie avec son bébé rendre visite à
ses amis, ce n'était que pour la journée, ce ne doit
pas être bien loin de Paris. ”
    “Et
alors ? ”
    “Il
te serait difficile de retrouver un village nommé Bernay,
qu'on peut atteindre par la gare de l'Est, pas bien loin de Paris ?

    “
Tout de suite ? ”
    Elle
ne répond pas. Elle se bat férocement avec son jambon
de Bayonne. Sylvain se lève, enfile ses sandales et va
chercher son annuaire des Chemins de fer. Il adore les Chemins de
fer. Une fois, il a raconté à Mathilde que son rêve,
s'il n'était pas marié, serait de prendre n'importe
quand un train pour n'importe où, de s'arrêter dans des
villes qu'il ne connaît pas, qu'il n'a même pas envie de
connaître, il dormirait seul dans des hôtels Terminus en
face de la gare, le lendemain il repartirait ailleurs. Il prétend
que les Chemins de fers sont magiques, ensorcelants, que très
peu d'élus peuvent comprendre.
    Il
revient, il s'assoit sur le lit, il

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