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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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coûté vos hortensias. ”
    Mathilde lui dit que le tableau est désormais à lui. La
chose se trouve en bas, sur un mur du petit salon. En partant, il
n'aura qu'à la décrocher et l'emporter. Si Maman s'en
étonne, qu'il se prétende cambrioleur, elle a presque
aussi peur des cambrioleurs que des souris.
    Il
ne sait comment la remercier. Mathilde lui dit : “Alors ne
me remerciez pas. Vous souvenez-vous de ces mimosas que vous aviez
choisis d' abord ? Ils seront à
vous aussi, dès que vous m'aurez retrouvé une autre
personne que je recherche. Vos frais en plus, cela va sans dire. Il
est une condition à ce marché, malheureusement, c'est
que je ne pourrai vous le proposer que si cette personne est encore
vivante. Si vous voulez bien patienter, je le saurai dans un moment.

    Il
répond qu'il n'est jamais pressé quand l'enjeu est de
cette taille. Il a posé son chapeau melon sur un coin du
bureau de Mathilde. Il porte cravate noire. Ses guêtres sont
d'une blancheur maniaque. Il dit : “Au fait, que
signifient ces trois M gravés sur un arbre, dans votre
délicieux tableau ? ”
    “Mathilde
aime Manech ou Manech aime Mathilde, comme on veut. Mais laissons
cela. Je souhaite avoir avec vous une conversation sérieuse. ”
    “À
quel propos ? ”
    « 
À propos des bottes », dit Mathilde d'un ton
négligent. « Au cours de votre enquête sur la
disparition de Benjamin Gordes, à Combles, trois témoins
ont affirmé l'avoir vu juste avant le bombardement et se sont
rappelé qu'il portait des bottes allemandes. Cela veut-il dire
qu'un des cadavres trouvés sous les décombres portait
des bottes allemandes ? »
    Germain
Pire sourit sous es petites moustaches en accent circonflexe, ses
yeux pétillants : «  V oyons,
Mathilde, ne me faîtes pas croire que vous avez besoin d'une
réponse ! »
    Elle
dit qu'en effet, elle n'en a pas besoin. Si l'on avait trouvé
le 8 janvier 1917, sous les décombres, un cadavre avec des
bottes allemandes, Benjamin Gordes n'aurait pas été
porté disparu en 1919 mais identifié tout de suite et
l'enquête était inutile.
    « L'objet
de cette enquête était d ' établir le décès
de ce brave caporal », dit Germain Pire, «  et
cela dans l’intérêt de ma cliente, son épouse.
Pouvais-je décemment, moi, lever un tel lièvre ?
Il m'a assez tracassé, figurez-vous. ”
    Mathilde
est contente de se l'entendre dire. Il lui a donc menti, en écrivant
dans une lettre que ce détail lui était sorti de la
tête. Rapprochant un pouce et un index, il répond que
c'était un tout petit mensonge.
    Le
téléphone sonne dans la chambre au même instant.
Mathilde roule jusqu'à son lit, prend l'appareil et décroche
l'écouteur. Pierre-Marie Rouvière lui dit : “Tu m'auras gâché la soirée, Matti. Jean
Desrochelles, classe 1915, de Saintes, a effectivement été
évacué du front de la Somme le 8 janvier 1917.
Souffrant d'une grave pneumonie et de blessures multiples, il a été
soigné au Val-de-Grâce puis à l'hôpital
militaire de Châteaudun, enfin dans un centre hospitalier de
Cambo-les-Bains, dans les Pyrénées. Réformé,
il a été rendu à sa famille le 12 avril 1918, en
la personne de sa mère, madame veuve Paul Desrochelles,
libraire, demeurant 17, rue de la Gare, à Saintes. Je te
répète qu'il faut que je t'aime beaucoup, Matti,
beaucoup." Elle lui dit qu'elle l'aime aussi.
    Dès
qu'elle a raccroché l'écouteur et reposé
l'appareil, elle tourne ses roues et dit à Germain Pire de
sortir son petit carnet. Celui qu'il extirpe de la poche intérieure
de sa redingote n'est sûrement pas le même qu'en 1920, il
n'aurait pu survivre aussi longtemps, mais il est entouré d'un
élastique et pareillement fatigué. Mathilde dicte :
“jean Desrochelles, 29 ans, chez madame veuve Paul
Desrochelles, libraire, 17, rue de la Gare, Saintes." Germain
Pire dit, refermant son carnet : “Si
vous avez l'adresse, qu'ai-je à faire pour mériter vos
mimosas  ? Les voler vraiment ? ”
    "Attendez",
dit Mathilde, “ laissez-moi trouver une réponse
satisfaisante. ” Elle revient vers lui. Elle dit : “Je
pourrais m'en tirer avec un tout petit mensonge, mais je préfère
toujours à un mensonge une vérité déguisée.
Je vous avouerai donc que j'espère de tout mon cœur,
comme probablement je n'ai rien espéré dans ma vie,
qu'à Saintes du moins, vous allez faire chou blanc. ”
    Il
la regarde sans rien dire, les paupières plissées, les
yeux aigus. Elle prend

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