Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
Vom Netzwerk:
des nœuds de corde.
J'ai dit à l'Eskimo que c'était mauvais de rester
ensemble et il était d'accord, il avait l'habitude de la
guerre. Je me suis mis à ramper dans la neige vers le tas de
briques, et eux sont partis vers le milieu du bled à la
recherche d'un trou plus profond. Celui que vous appelez Six-Sous, je
ne savais pas ce qu'il était devenu, ni ce Marseillais juste
bon à nous faire massacrer tous, à qui j'avais donné,
pour le calmer, un coup de soulier dans la tête.
    De
la tranchée allemande, on a lancé des grenades,
d'autres fusées, j'entendais les fusils-mitrailleurs. J'ai
attendu à plat ventre contre le tas de briques. Plus tard,
quand tout s'est tu, j'ai cherché dans le noir autour de moi,
j'ai senti sous ma main, en dégageant la neige, un grand
panneau de bois, en fait c'était une porte abattue, et
dessous, le vide. J ' ai attendu une autre fusée pour
plonger la tête dans ce trou et voir que c'était ce qui
restait d'une cave. Il y avait cinq ou six marches pour descendre, le
fond était inondé. Quand j'ai tiré la porte de
côté, des rats que je n'ai pas vus, que j'ai seulement
sentis courir sur moi, se sont enfuis. Je me suis laissé
glisser sur le dos, marche à marche, dans cette cave. J'ai
trouvé à tâtons une poutre tombée, au bas
d'un mur, qui était hors de l'eau pourrissante, je me suis
assis, puis allongé dessus.
    J'ai
attendu. À ce moment, je ne sentais pas encore le froid, je
n'avais pas faim, je savais que, pour boire, je n'avais qu'à
sortir un bras de mon trou et ramasser de la neige, j'avais bon
espoir.
    Plus
tard, je me suis endormi. Peut-être les deux tranchées
se sont encore canardées, cette nuit-là, mais je ne
saurais vous le dire, le vacarme ne réveillait plus personne,
à la guerre, quand on avait un moment pour dormir, c'était :
« Arrive ce qui arrive », on voulait plus
savoir.
    Il
faisait encore nuit, ce dimanche, lorsque je me suis retrouvé
dans cette cave dont vous dites que c'était celle d'un
chapelle. À ce moment, j'avais froid. J'ai marché dans
l'eau, plié en deux, parce que ce qui restait du plafond
n'était pas à plus d'un mètre cinquante ou
soixante du sol. J'ai cherché dans l'obscurité, contre
un mur où il y avait une planche, quelque chose qui puisse me
servir. J'ai deviné sous ma main de vieux outils, des chiffons
raidis par le gel, mais pas de quoi m'éclairer.
    J'ai
attendu le jour. Il s'est levé peu à peu, aussi blanc
que la neige, sans soleil. Par le trou venait assez de lumière
pour que je voie où j'étais terré. Il y avait
même une vidange, dans un coin, sous les décombres, et
j'ai tiré une chaîne rouillée qui s'est cassée,
mais après, avec mes ongles et mes doigts, j'ai pu soulever
une plaque en fer, et toute l'eau dégueulasse qu'il y avait
sur le sol s'est précipitée dans le puits.
    J' ai
attendu. J'ai attendu. D'abord, de la tranchée des nôtres,
quelqu'un nous appelait pour savoir si nous étions encore en
vie : Bouquet, Etchevery, Bassignano, Gaignard. Et puis
Notre-Dame, qu'on répétait, parce que jamais je n'ai
répondu. Et d'ailleurs, tout de suite après ces appels,
les Boches ont lancé des grenades, j'ai entendu cracher des
crapouillots, je trouvais que le monde était aussi con que
d'habitude. Après, celui qu'on appelait Six-Sous chantait. Il
y a eu un coup de fusil, il ne chantait plus.
    Pour
un zinc boche qui nous a survolé et qui est revenu, très
bas, en mitraillant le bled, j'ai fait ma première erreur.
J'ai voulu voir. J'ai grimpé à plat ventre jusqu'en
haut des marches de ma cave, j'ai sorti la tête. J'ai vu le
Bleuet debout devant un bonhomme de neige, qu'il avait coiffé
d'un canotier.
    L'avion,
après un long virage au-dessus de ses lignes, revenait droit
sur nous, à quinze mètres au plus au - dessus de
la neige. C'était un Albatros, qui mitraillait par l'arrière.
Quand il était presque sur moi, j'ai vu le bonhomme de neige
éclater, le Bleuet qui tombait avec, entre deux tranchées
qui se tiraillaient comme aux plus mauvais jours.
    Ma
seconde erreur, c'est de n'être pas aussitôt redescendu
au plus profond de mon trou. Le biplan est repassé, avec ses
croix noires sur les ailes, une troisième fois. J'ai vu alors
l'Eskimo, peut-être à trente mètres de moi, se
dresser d'un coup dans la neige et lancer de sa bonne main quelque
chose en l'air, juste quand le zinc passait sur lui, et presque en
même temps que l'arrière de l'avion explosait, je l'ai
vu frappé en

Weitere Kostenlose Bücher