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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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su.
    Après,
elle allait tous les samedis le voir à la prison Saint-Pierre
et il ne manquait de rien avec elle, je vous l'assure, pas plus que
d'habitude, parce que c'est elle qui le faisait manger depuis qu'il a
eu ses quinze ans et se prenait déjà pour un prince. Et
après encore, en 1916, quand ils l'ont envoyé à
la guerre, elle l ' a suivi
aussi, partout dans les secteurs où il était, parce
qu'ils avaient un code secret dans ses lettres à lui pour
qu'elle sache toujours où le retrouver, vous imaginez cet
amour et ce qu'elle a pu devenir, une fille à soldats. Elle
m'a même raconté qu'il avait trouvé dans son
régiment au moins cinquante benêts à qui la
vendre comme marraine de guerre, et quand ils allaient en permission,
elle leur prenait tous leurs sous. Et des chosespires encore qu'il lui faisait faire, toujours pour de
l'argent, aujourd'hui, lui qui est mort comme un chien probablement
de la main de soldats français  ? Quel déshonneur pour sa mère et son père, s'ils
avaient vécu, de voir cette vie gâchée, mais
heureusement ils ne l'ont connu que sous les traits d'un petit garçon
adorable, une vraie beauté. Ils sont morts quand il avait
quatre ans et il a été élevé par des
Piémontais, des pas-grand-chose qui le laissaient dans la rue,
et moi qui ne suis point méchante, je vous l'assure, quand les
gendarmes sont venus me confirmer qu'il était mort au front et
qu'ils m'ont donné l'avis, j'ai pleuré, mais j'ai dit
bon débarras. Je n'ai pas pleuré pour lui, je vous
l'assure. C'était un pauvre enfant perdu mais il était
devenu un démon pour ma filleule.
    Maintenant
que je vous dise ce que vous demandez à Tina, comme vous
l'appelez, car je me suis donné le droit d'ouvrir votre
lettre, comme je fais toujours, parce qu'elle m'a demandé de
tout ouvrir quand je ne sais pas où elle est, des fois que ce
serait l'administration ou la police, je pourrais leur répondre.
La première fois qu'on a su que ce Ange Bassignano avait
disparu à la guerre, c'est moi qui l'ai su, déjà
par les gendarmes, le samedi 27 janvier 1917, vers onze heures du
matin. Entre-temps, le mardi 16 janvier, j'ai reçu la dernière
lettre que l'Ange de l'Enfer comme il disait lui-même, avait
fait écrire pour Valentina. J ' étais bien étonnée
de la recevoir, parce que depuis qu'il avait quitté la prison,
je n'étais plus sa poste, et bien étonnée aussi
de ses douces paroles, mais il mentait comme un arracheur de dents et
je pense que les douces paroles n'étaient là que pour
ce code secret, avec ma filleule, que je vous ai dit.
    À
cette époque, j'avais l'adresse postale de Valentina Emilia
Maria : Z.A.l828.76.50, rien de plus parce qu'elle courait la
zone des armées, mais ça datait d'au moins cinq
semaines et elle ne restait jamais bien longtemps dans le même
secteur. J ' ai expédié la lettre quand même
et elle l'a reçue, elle me l'a dit après, et c'est
comme ça qu'elle a retrouvé la trace de son démon
et su ce qui lui était arrivé.
    Elle
m'a dit que c'était dans la Somme et qu'il fallait le
considérer comme mort. Elle m'a dit ça quand elle est
revenue à Marseille, c ' é tait
dans ma cuisine, le mardi 13 mars 1917. Elle était maigre et
pâle et fatiguée de tout. Je lui ai dit pleure, mais
pleure, ma pauvre petite, que ça la soulagerait, mais elle m'a
répondu qu'elle n'avait pas envie de pleurer, elle avait envie
de faire sauter le caisson à tous ceux qui avaient fait du mal
à son Nino, c'est comme ça qu'elle l'appelait. Après,
je l'ai plus vue de quelque temps mais elle m'a écrit une
carte de Toulon pour me dire qu'elle allait bien et que je me fasse
pas du mauvais sang. Enfin, l'avis du décès officiel,
apporté par les gendarmes, c'était le vendredi 27
avril, en fin de journée. C'est là que j'ai dit bon
débarras. Sur l'avis, il y avait : Tué à l'ennemi, le 7 janvier 1917, mais pas où
on avait enterré Ange Bassignano. Vous imaginez bien que je
l'ai demandé aux gendarmes. Ils ne savaient pas. Ils m'ont dit
sûrement avec beaucoup d'autres.
    J' ai
écrit à Toulon et, en juin, quand elle a pu, ma
filleule est revenue me voir. Elle avait repris du poids et des
couleurs, _j'étais bien contente, surtout qu'elle ne voulait
plus parler de son Nino. Après encore, et presque tous les
mois jusqu'à ce jeudi 5 décembre 1918 que je vous ai
dit, elle est venue ici, avec des cadeaux et des gâteries, on
dînait ensemble dans la cuisine , et
un jour aussi je suis

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