Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
Vom Netzwerk:
filleule par affection,
depuis le jeudi 5 décembre de l ' année dernière,
dans l'après-midi, quand elle m'a rendu visite pour la
dernière fois comme elle le faisait avant la guerre,
m'apportant un pot de chrysanthèmes pour la tombe de mon père,
ma sœur et mon époux décédés, un
gâteau à la chantilly, des pommes d'amour et des
poivrons, et aussi 50 francs qu'elle a déposés dans la
boîte à sucre, sans rien me dire pour ne pas blesser ma
vergogne.
    Elle
avait l'air de d'habitude, ni contente ni mécontente, et
d'aller bien. Elle avait sur elle une robe bleue à pois
blancs, très jolie mais courte à voir ses mollets, vous
imaginez le genre. Elle m'a dit que c'est la mode mais je suis
certaine que vous. Ne portez pas de robe
pareille, vous êtes sûrement bien honnête et
instruite, sauf peut-être pour vous déguiser le
Mardi-gras en fille des rues, mais je n ' y
crois pas. J'ai montré votre lettre à ma voisine,
madame Sciolla, et aussi à madame Isola, qui tient avec son
mari le Bar César dans la rue Loubon, une femme de bon conseil
et très estimée, je vous l'assure, et elles m'ont dit
toutes les deux : “On voit que
cette demoiselle est quelqu'un de comme il faut”, et que je
devais vous répondre à la place de Valentina parce que
je ne sais pas où elle est, ni maintenant ni depuis des mois.Ce que je fais.
    Surtout,
très chère mademoiselle, n'ayez pas honte pour moi de
mon écriture, je n'ai pas été à l'école,
étant trop pauvre, et je suis arrivée ici, à
Marseille, avec mon père veuf et ma sœur Cécilia
Rosa en Janvier l882, à l'âge de 14 ans, venant
d'Italie, et ma pauvre sœur est décédée en
84 et mon pauvre père en 89, qui étais maçon et
très estimé de tous, et j'ai dû travailler sans
repos. Je me suis mariée avec Paolo Conte le samedi 3 mars
1900 à l'âgede 32 ans et lui
en avait 53 et il avait travaillé lui aussi sans repos pendant
vingt ans aux mines d'Alès. Il est décédé
des bronches le mercredi 10 février 1904, à deux heures
du matin, donc nous n'avons même pas été mariés
quatre années complètes, c'est atroce, je vous
l'assure, parce que c'était un brave homme, venu de Caserte où
moi-même je suis née, ainsi que ma sœur Cécilia
Rosa, et sans avoir la joie d'avoir un seul enfant, oui, c'est
atroce. Après, c'est mon cœur qui n'allait plus et me
voilà maintenant, à 51 ans, même pas 52, une
vieille femme qui ne peut plus guère sortir de chez elle, je
m'essouffle rien que d'aller de mon lit à la cuisinière,
vous imaginez ma vie. Heureusement, j'ai de bonnes voisines, madame
Sciolla et madame Isola, je suis à la charge de la mairie
grâce à madame Isola qui a fait les démarches, je
ne manque de rien. Aussi ne croyez pas que je veux me plaindre à
vous, ma pauvre demoiselle qui avez perdu votrefiancé bien-aimé à la guerre, j'ai ma
vergogne et je vous fais toutes mes sincères condoléances,
ainsi que madame Sciolla et madame Isola.
    J'ai
toujours affectionné Valentina Emilia Maria depuis qu'elle est
née, le 2 avril 1891. Sa mère est morte en la mettant
au monde et moi je n'avais déjà plus de père ni
de sœur et pas encore de mari. Je vous dirais sûrement
mieux ces choses si je n'avais pas à les écrire, mais
vous imaginez mon plaisir quand j'avais vingt-trois ans et que je la
berçais dans mes bras, surtout que son père, Lorenzo
Lombardi, ne pensait qu'à boire et à trouver querelle,
détesté par tous les voisins. Elle venait souvent se
réfugier chez moi pour dormir son content, alors vous pensez,
quoi d'étonnant qu'elle ait mal tourné ? À treize ans quatorze ans, elle a
connu ce Ange Bassignano, quin'avait pas
eu meilleure vie qu'elle, l'amour emporte tout.
    Je
reprends cette lettre le lendemain 3 octobre, car hier je ne pouvais
plus, le sang me battait trop. Il ne faut pas que vous pensiez que
Valentina Emilia Maria, ma filleule par affection, est une mauvaise.
Elle est très bonne de cœur au contraire, elle n'a
jamais manqué une semaine, avant la guerre, de venir me voir,
et toujours des cadeaux et aussi 50 francs ou même plus dans le
sucrier, quand j'avais le dos tourné, pour ne pas blesser ma
vergogne. Mais elle est mal tombée en cédant à
ce Napolitain de malheur, elle l'a suivi dans sa déchéance
et mené la grande vie jusqu'à ce qu'il se prenne de
colère assassine avec un autre voyou du quartier, dans un bar
d'Arenc, et lui plante un couteau dans l'épaule, j'en étais
toute retournée quand je l'ai

Weitere Kostenlose Bücher