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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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Cachan,
près de Paris. Elle tient boutique sur une petite place où
tournoient dans le vent les feuilles mortes des platanes.
    Elle
sait que son mari s'est tiré un coup de fusil dans la main
gauche et a été traduit devant un conseil de guerre. Un
compagnon de tranchée le lui a dit, qui est venu la voir après
l'armistice. Elle a renoncé à en connaître
davantage. Le faire-part officiel qu'elle a reçu en avril 1917
portait la mention : Tué à l'ennemi`. Elle touche
une pension, elle a deux petites filles à élever, dont
elle fait les robes et les nœuds de cheveux dans le même
tissu, ainsi que pour des jumelles. Elle connaît depuis
quelques mois un autre homme qui veut l'épouser. Il est gentil
avec les enfants.
    Elle
soupire : “On ne choisit pas sa vie. Six-Sous avait un
cœur d'or. Je suis sûre qu'il m'approuverait."
    Elle
reprend son repassage.
    Elle
parle de Six-Sous. Il a été parmi les blessés de
Draveil, en juillet 1908, quand la cavalerie a chargé les
grévistes des sablières et fait tant de morts. Il
détestait Clemenceau comme la rage. Il ne serait pas fier, oh
non, qu'on appelle aujourd'hui le Père La Victoire cet
assassin des ouvriers.
    Mais
il ne faudrait pas croire que Six-Sous n'avait en tête que le
syndicalisme. Il aimait les bals au bord de la Marne et la bicyclette
tout autant que la C.G.T.
    Il
a suivi Garrigou comme mécano sur le Tour de France de 1911,
pendant ce mois de juillet terrible, le plus chaud qu'on ait jamais
vu. Le soir où Garrigou a gagné, Thérèse
a ramené Six-Sous ivre mort sur une brouette, de la porte
d 'O rléans à
Bagneux, où ils habitaient. Elle était enceinte de
presque six mois de sa première. Le lendemain, il avait
tellement honte qu'il n'osait pas la regarder ni ne voulait qu'elle
le regarde, il a passé une grande partie de la journée
avec une serviette sur la figure, comme les pénitents du Moyen
Age.
    Elle
ne l'a connu ivre que cette seule fois. Il ne buvait pas, sinon un
verre de vin à table, et encore parce que c'est elle qui lui
avait dit, du temps de leurs premières rencontres, un proverbe
de sa grand-mère du Vaucluse : “ Après la
soupe, un verre de vin, autant de moins dans la poche du médecin.
” Ce n'est pas lui qui aurait gaspillé sa paye à
jouer ou à boire dans les cafés. Pour le taquiner, on
le disait pingre, mais pas du tout. Quand il rapportait à
Thérèse sa semaine écornée, on pouvait
être sûr qu'il avait aidé un camarade. Sa vraie
distraction, c'était le Vélodrome d'Hiver, où il
connaissait tous les coureurs, il y entrait gratis. Il en revenait
avec des yeux brillants, des images plein la tête. Thérèse dit : “ Si nous avions eu un
fils, il aurait voulu en faire un champion cycliste. »
    Quand
Sylvain, qui l'a accompagnée à Paris, vient chercher
Mathilde, les deux fillettes sont rentrées de l'école.
Geneviève, huit ans, sait déjà repasser les
mouchoirs, avec un petit fer, sans se brûler. Elle a un air
sérieux et concentré, on sent qu'elle est fière,
devant Mathilde, d'aider sa mère. Sophie, six ans, a rapporté
du dehors des feuilles de platane et les décortique jusqu'au
squelette. Elle offre une de ses œuvres à Mathilde.
    Dans
l'auto de son père, une grande Peugeot rouge et noir, conduite
par le chauffeur des Constructions Donnay, qui est nouveau, qu'elle
ne connaît pas, Mathilde est assise à l'arrière
avec Sylvain. Elle tient entre le pouce et l'index la tige de la
feuille dénudée.
    Elle
se demande si, ayant deux enfants de lui, elle pourrait vouloir
oublier Manech. Elle ne sait pas. Elle se dit que non, mais aussi,
bien sûr, que Thérèse Gaignard n'a pas, elle, un
père qui gagnait déjà beaucoup d'argent avant la
guerre et en gagne encore plus maintenant, dans les villes anéanties.
    On
entre dans Paris. La nuit est tombée. Il pleut sur
Montparnasse. À travers sa vitre, Mathilde voit défiler
des ruissellements de lumières floues.
    Elle
pense : “Pauvre, pauvre Six-Sous. Moi aussi, comme un
capitaine le déclarait à celui que tu appelais
Espérance, j'aurais aimé te connaître en d'autres
temps, en d'autres lieux. Toi, je le sais, tu secouerais cette
espérance jusqu'à ce qu'elle crache la vérité
à tout le monde."
    Mathilde
a écrit à la femme de Cet Homme, en Dordogne.La
lettre lui est revenue avant qu'elle quitte Cap-Breton :
N'habite plus à cette adresse.
    Mathilde,
née en janvier, a dû hériter - que les
astrologues s'en expliquent - de l'entêtement

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