Un long dimanche de fiancailles
nager ? ” Il fait oui avec la tête. Elle rapproche sa
trottinette, elle touche son dos pour qu'il la regarde. Il a les yeux
bleus, les cheveux noirs tout bouclés. Ils se serrent
cérémonieusement la main à travers les barreaux.
Il
a un chien et deux chats. Son père a un bateau de pêche
sur le port. Il n'a jamais vu Paris, ni Bordeaux. La plus grande
ville qu'il connaisse, c'est Bayonne. Il n'a jamais eu d'ami fille.
C'est
peut-être ce jour-là, peut-être un autre que
Bénédicte, sortie sur la terrasse, lui dit : “
Que fais-tu donc dehors ? Nous prends-tu pour des sauvages ?
Le portail est ouvert, entre." Il répond : “Pour que le rouquin me donne un coup de pied au cul ? ”
Bénédicte rit. Elle appelle Sylvain, qui dit au garçon : “J'aime pas
beaucoup qu'on me traite de rouquin, tu sais. Continue encore et
c'est pour du bon que je te mets mon pied au derrière. Tu es
bien le Manech des Etchevery de Soorts ? Alors, ton père me remerciera, il doit en avoir plus d'un, de
coup de pied en retard. Allez, entre, avant que je change d'avis. ”
On
dit que les amitiés qui commencent mal sont les plus
infectantes. Bénédicte et Sylvain et même
Pois-Chiche, qui a tout juste un an, ont vite fait d'attraper le
virus. Presque chaque jour, Bénédicte sert à
goûter. Elle trouve bien élevés les enfants qui
ont de l'appétit. Sylvain reconnaît que Manech, qui
passera son certificat d'études dans deux ans, a du mérite
d'aider son père à la pêche et sa mère,
qui est de santé fragile, à tous les travaux.
Les
vacances arrivent. Quand il n'est pas en mer ou à scier le
bois pour l'hiver, Manech emmène Mathilde au bord du lac. Ils
ont un endroit préféré, sur la rive qui est le
dos à l'océan, presque en face de l'auberge des Cotis.
Jusqu'au sable, ce ne sont que des taillis, des arbres et des mimosas
qui fleurissent même en été. On n'y voit jamais
personne sauf, le dimanche, un étranger barbu, en vêtements
de ville et chapeau de paille, qui a une cabane de pêcheur et
une barque un peu plus loin. Manech l'appelle Croquemitaine, mais il
n'est pas méchant. Une fois, Manech l'aide à retirer
ses filets des eaux du lac et lui donne des conseils pour attraper
plus de poisson. Croquemitaine est tout ébahi de la science
d'un pêcheur aussi jeune et Manech lui répond, fier : “je suis né au fond de l'eau, pensez si je m'y connais."
Ensuite, Croquemitaine est infecté, il se contente d'agiter la
main et de demander si ça va quand il trouve Manech sur son
territoire.
Le
premier été, le second. Il semble à Mathilde que
c'est au second qu'elle s'est décidée d'apprendre à
nager. Manech a fabriqué des flotteurs en liège pour
enserrer ses chevilles et il s'est avancé dans le lac, elle
accrochée à ses épaules. Elle ne se rappelle pas
avoir bu la tasse. Elle avait un sentiment de joie et de
reconnaissance envers elle-même comme elle en a rarement
ressenti. Elle était capable de flotter, d'avancer sur le
ventre rien qu'avec ses bras, et même, rien qu'avec ses bras,
de se retourner sur le dos et de nager encore.
Oui,
c'est au cours du deuxième été avec Manech,
celui de 1911 et de la grande vague de chaleur. Pendant qu'elle nage,
Gustave Garrigou, “ l’Élégant" suivi
de son fidèle mécano Six-Sous, gagne le Tour de France.
Mathilde n'a pas l'ombre d'un néné, ni d'ailleurs de
costume de bain. La première fois, elle va dans l'eau avec sa
culotte intime, la poitrine nue. Et sa culotte est de coton blanc et
fendue dessous pour faire pipi, on imagine la naïade. Ensuite,
les autres jours, comme il faut cent sept ans pour que la culotte
sèche, c'est aussi bien sans rien. Sans rien, Manech l'est
comme on dit bonjour, avec son zizi en balancier, ses fesses à
croquer dedans.
Pour
arriver au territoire de Croquemitaine, c'est déjà
l'aventure. D'abord, Mathilde s'accroche au dos de Manech. Il la
prend sous les genoux pour la soulever. On laisse la trottinette sur
le chemin de terre jusqu'où il peut sans danger la pousser. À
travers les taillis, écartant les branches traîtres
d'une main, il porte Mathilde jusqu'au bord du lac. Il la dépose
sur le sable aussi commodément qu'ils le peuvent tous les
deux. Ensuite, il retourne chercher la trottinette, pour la mettre à
l'abri, des fois que quelqu'un se pose des questions et ameute les
Landes jusqu'à Arcachon. Après la baignade, quand
Mathilde a les cheveux secs, c'est le même cirque à
l'envers.
Un
soir, Maman qui
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