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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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debout."
    Elle
sort un petit mouchoir blanc de son sac à main et se tamponne
les yeux. Elle dit à Mathilde : “Votre fiancé
aurait bien trouvé un moyen de vous avertir, vous, s'il était
encore vivant depuis trois ans et demi ? ”
    Mathilde,
sans mentir, fait un geste des mains pour dire qu'elle n'en sait
rien.
    Elle
ne veut pas invoquer l'incohérence d'esprit de Manech, quand
on l'a conduit à Bingo Crépuscule. Ce n'est pas ce qui
l'aurait empêchée de le retrouver, au contraire :
après les révélations d'Esperanza, son premier
souci a été de se renseigner auprès de tous les
hôpitaux militaires ou civils. Parmi les soldats non identifiés
par leur famille après l'armistice, ou non réclamés,
qui avaient perdu la raison ou la mémoire, ils étaient
plus de trente. D'environ l'âge de Manech, ils étaient
une dizaine. De cette dizaine qui avaient les cheveux bruns, sept. De
ces sept qui avaient les yeux bleus, trois. De ces trois, aucun
n'était amputé d'une main ou d'un bras. Sylvain, qui a
fait quand même le voyage à Châteaudun, Meaux et
Dijon pour voir les trois derniers, appelait tristement l'entreprise
de Mathilde, jusqu'à ce qu'un soir, excédée,
elle fasse valser les assiettes et les verres d'un coup de poing sur
la table : “ l'Opération Peau de Chagrin. ”
    Reste
que la filière des hôpitaux n'a pas épuisé
les espoirs imbéciles. Et si Manech, fait prisonnier, sans
mémoire, avait été recueilli après la
guerre par des gens compatissants, en Allemagne ? Et si Manech,
avec tout son bon sens, s'interdisait de se manifester encore, de
peur, s'il était repris, qu'on ne tourmente pour complicité
ses parents ou Mathilde ? Et si
Manech, avec ou sans mémoire ni bon sens, errant sur les
routes, affamé, transi, avait trouvé un refuge quelque
part et une autre Mathilde ?
    Elle
dit à Véronique Passavant que même si elle ne
devait plus revoir son fiancé, elle veut savoir dans quelles
circonstances il a disparu. Ce dimanche de neige, entre deux
tranchées ennemies, c'est maintenant tout ce qui compte pour
elle. Le reste, elle s'en accommode, elle n'a pas le sentiment que
c'est important, ni tout à fait réel.
    Son
fauteuil, par exemple, qu'on ne la plaigne pas d'y être
enchaînée, très souvent elle l'oublie. Elle se
déplace comme elle est habituée à se déplacer,
elle n'y pense guère plus que Véronique à ses
jambes. Et si elle y pense, c'est que son fauteuil est lié à
tous les souvenirs de Manech.

    Les
autres choses, le train-train des jours, ne l'intéressent pas.
Encore moins ce qui passionne tant le monde. Elle ignore tout de ce
qui se passe, et même s'il y a un nouveau président de
la République depuis que celui dont elle ne se rappelle pas le
nom est tombé d'un train en marche, en pleine nuit, en pyjama.
C'est vraiment réel, ça ?
    Véronique
retrouve un peu de son sourire, secoue doucement, sous son bibi, ses
cheveux noirs en boucles.
    Plus
tard, à son deuxième porto, le crépuscule sur
les fenêtres, elle dit à Mathilde : “Je
voudrais bien vous raconter ce qui a provoqué ma rupture avec
Kléber, mais il m'a fait jurer de jamais en causer à
personne. ” Mathilde répond sur le même ton,
presque de la même voix parigote : “Si vous avez juré, faut pas en causer." Et puis,
plus grave : “De toute manière, je le sais. Vous
devez bien deviner par qui ? ”
Véronique Passavant la regarde, détourne ses grands
yeux noirs, dit oui de la tête avec une petite moue d'enfant
grondé. Mathilde soupire : “
Cela non plus ne m'a pas menée loin. Voyez-vous, je suis trop
imaginative, quelquefois. Je serais capable de faire toute une
histoire à propos de bottes. ”
    Véronique
Passavant ne montre pas un battement de cils. Elle trempe
délicatement ses lèvres dans son verre, le regard
ailleurs. Elle dit : “Je me sens bien, avec vous. Si je
m'écoutais, je ne partirais plus. ”
    C'est
le dernier mot du temps des illusions. Mathilde entre, trois jours
plus tard, dans un tunnel plus long et plus obscur que celui qu'elle
a connu depuis l'annonce de la mort de Manech.
    Alors
qu'elle s'apprête, l'exposition finie, à rentrer avec
Sylvain à Cap-Breton, que ses bagages sont prêts, qu'il
est l'heure de passer à table pour l'ultime repas en famille
je ne vous hais point, mais j'en étranglerais volontiers
quelques-uns, Pierre-Marie Rouvière veut lui parler au
téléphone. Elle va seule au téléphone. Le
cornet de l'écouteur, noir et blanc

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