Un long dimanche de fiancailles
donne à Mathilde un baiser dans le cou sent le
sel sur ses lèvres, lui lèche le haut d'un bras et dit,
effarée : “Tu es tombée dans l'océan !
” Mathilde, qui ne ment jamais, répond :
“Pas
dans l'océan, il y a trop de vagues. Dans le lac d'Hossegor.
Je voulais me suicider, Manech Etchevery m'a sauvée. Tant qu'à
faire, pour que je ne me noie plus, il m'a appris à nager. ”
Mathieu
Donnay étant venu voir, effaré lui aussi, comment se
débrouille sa fille, Mathilde hérite d'un costume de
bain décent et Manech aussi, un blanc rayé bleu marine,
à bretelles, avec un écusson sur le cœur qui
dit : Paris, fluctuat nec mergitur. Quand Manech lui
demande de traduire, elle qui fait déjà du latin, elle
répond que c'est pas intéressant, elle enlève
l'écusson du maillot avec ses dents et ses ongles. Après,
on voit la trace, Manech n'est pas content, il prétend que ça
fait acheté pas neuf.
Le
latin. Après les vacances, Mathilde retourne suivre les cours
des religieuses du Bon Secours, à Auteuil. C'est si près
de la maison qu'elle pourrait y aller à trottinette, comme une
grande, mais Mathieu Donnay, qui est né pauvre, fils de
maréchal-ferrant, à Bouchain, dans le Nord, qui vient
d'acheter “avec son propre argent” l'hôtel
particulier de la rue La Fontaine, met son point d'orgueil à
la faire conduire et reprendre par son chauffeur, surnommé
Fend-la - Bise, elle n'a
jamais voulu retenir son vrai nom. Elle est bonne élève
en français, en histoire, en sciences, en arithmétique.
Elle est au fond d'une classe, face à l'allée centrale,
où l'on a placé un pupitre de deux pour elle toute
seule. Les sœurs sont très gentilles, les filles
supportables, elle regarde les récréations. Ce qu'elle
déteste le plus, c'est quand une nouvelle arrive et veut lui
montrer son bon cœur : “
Laisse-moi te pousser", “Tu veux que je t'envoie la balle ? ” et gna-gna-gna.
Après
un second séjour à l'hôpital de Zurich, en 1912,
Mathilde réclame de vivre définitivement à
Cap-Breton, avec Sylvain et Bénédicte, et Pois-Chiche,
et déjà Uno, Due et Tertia. Deux professeurs se
partagent la semaine à Poéma, trois heures par jour, un
ancien séminariste qui a perdu la foi, monsieur Auguste du
Theil, et une retraitée de l'école libre, revancharde
de l'Alsace-Lorraine, anti-rouge au couteau, prude à cacher
ses dents quand elle sourit, une mademoiselle Clémence - rien
de commun avec la ni belle ni sœur de plus tard – qui
demande, en rémunération de ses cours, un cierge à
l'église pour chaque anniversaire de son trépas, dette
à laquelle, quand le temps sera venu, Bénédicte
et Mathilde ne failliront jamais.
Au
début de l'été 1912, Manech passe son certificat
d'études. Maintenant, il part en mer tous les jours, parce que
les Etchevery ne sont pas riches et que les médicaments pour
sa mère coûtent cher, mais dès qu'il rentre au
port, il court d'une traite jusqu'à la villa pour “promener”
Mathilde. Ils retrouvent leur bout de plage sur le lac, les mimosas
et la cabane de Croquemitaine, qui leur permet d'utiliser sa barque.
Manech, à la perche, emporte Mathilde en croisière
jusqu'au canal, assise à l'arrière du navire, à
même le plancher, les mains accrochées aux deux bords.
Quand
l'automne arrive et l'hiver, elle voit Manech les jours où la
mer est trop mauvaise pour la pêche. Quelquefois, avec la
carriole de son père et l'âne Catapulte, il l'emmène
chez les Etchevery. Le père est bourru mais brave homme, la
mère est douce, très menue, elle a un souffle au cœur.
Ils élèvent des lapins, des poules et des oies. Kiki,
le chien de Manech, est un épagneul breton au poil blanc taché
de roux. Il est beaucoup plus vif et plus intelligent que
Pois-Chiche. Les deux chats, Mathilde les trouve très
inférieurs aux siens, mais ils sont quand même beaux,
gris-noir tous les deux, et elle est de parti pris.
Manech
apprend à Mathilde à faire des nœuds de marin
avec des bouts de cordages, le nœud de vache, de bouline,
d'écoute, de cul-de-porc, d'anguille ou de trésillon.
En retour, elle lui apprend des jeux de cartes que lui a montrés
Sylvain, la Bouillotte, la Crapette, le Chien Rouge, le Binocle, et
surtout le jeu qu'ils préfèrent tous les deux, la
Scopa, quand tu as une carte qui fait exactement le nombre de points
de celles retournées sur la table, tu rafles tout en criant :
“
Scopa ! ” et tu mets un gros marron à côté
de toi, qui
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