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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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cette saleté d'endroit  ! ”
    Encore
un silence. Arthur-Célestin la regarde, les joues rouges. Et
puis, il dit : “Où tu crois que nous sommes allés,
ce matin, avec Sylvain ? Nous renseigner à la gare de
Labenne. On part mercredi, toi et Sylvain par le train, moi avec la
Delage, parce qu'on en aura besoin. Si j'arrive avant vous, je vous
attendrai à la gare de Péronne. Sinon, je vous
retrouverai à l'hôtel que Sylvain m'a dit, l'Auberge
des Remparts.
    C'est
pas la peine de faire tant d'histoires avec des hommes aussi
intelligents que nous. ”
    Mathilde
avance ses roues, lui tend la main pardessus la table. Elle renverse,
ce faisant, la bouteille de vin, et Bénédicte bisque.
Sylvain, lui, lisse ses moustaches rousses, d'un pouce et d'un index
très émus.

La tranchée d'en face

C'est
un champ immense, fraîchement moissonné, avec deux ormes
tronqués aux basses branches feuillues, cernés de
gourmands, un petit ruisseau qui coule sans bruit sous un pont de
bois, une colline verdoyante pour horizon.
    Sylvain
et Célestin Poux emmènent Mathilde à la
découverte dans une chaise à porteurs. La chaise est sa
vieille trottinette transformée par devinez-qui, à
l'aide d'écrous à ailettes et de deux barres d'acier.
Comment devinez-qui s'est procuré les barres, c'est des
médisances. Mathilde, balancée comme une impératrice,
voit toutes choses d'en haut, dans l'implacable soleil d'août.
En robe blanche de dentelle, sous une capeline garnie d'un foulard de
soie rose et son ombrelle ouverte, elle se fait l'effet d'être
en Afrique, à la chasse au chagrin.
    Le
monsieur Dondut Alphonse, propriétaire des quarante hectares
alentour, qui fait le guide, s'arrête soudain et dit avec
l'accent de ch'Nord, en frappant le sol de ses gros souliers : “
Ça !... C'est ici, mademoiselle, c'est exactement ici que
se trouvait Bingo, face à la tranchée Erlangen des
Boches.” Il regarde son domaine avec des yeux vindicatifs, sans
amour. Sortde sa poitrine un gros soupir.
Il dit : “Les deux arbres, je
les ai laissés pour garder quelque chose à voir aux
visiteurs de la guerre. Pour pas cher, s'ils veulent, la femme leur
sert dans ma maison la soupe aux choux avec le poivre noir et, pour
le même prix, le fromage et le vin. Si le cœur vous en
dit, tout à l'heure, vous êtes tous les trois bien
servis. Ça !... Le pont, c'est moi qui l'ai reconstruit,
avec mon gendre. Les Huns, figurez-vous, ils avaient détourné
le ruisseau à leur profit, loin au levant, derrière les
buttes. Ça  ! ...J ' en
ai vu, des misères. ”
    On
dépose Mathilde. Célestin Poux part vagabonder. Il ne
reconnaît rien. De loin, il crie : “Il y avait des
briques, un mur effondré à cet endroit. Qu'est-ce que
c' était ? ” Monsieur
Dondut ne sait pas.
    Il
a acquis les terres en 21, les tranchées étaient
comblées, les terres déjà retournées.
C'est même en retournant les terres que son prédécesseur
a trouvé la grenade qui lui a emporté le bras droit. Il ajoute : “ Il ne se passe pas de
semaine sans qu'on apprenne que quelqu'un a explosé. Ça  ! ...
Cette guerre-là n'a pas fini de tuer, vous verrez, elle a
encore de belles années devant elle. ”
    Mathilde
essaye en vain d'imaginer un champ de bataille. Elle demande où
l'on peut trouver l'ancien propriétaire. Monsieur Dondut lui
dit qu'avec l'argent de son bien, celui-ci s'est installé
cabaretier près de Montauban-de-Picardie, sur la route de
Fricourt. Il dit : “Vous
demanderez le Cabaret Rouge.
    Vous
demanderez le Manchot. Son nom, c'est Deprez Hyacinthe, mais si vous
demandez le Manchot, c'est meilleur. ” Ensuite, il regarde à
nouveau ses champs, l'air de se retenir de leur cracher dessus, il a
de l'ouvrage qui attend, il souhaite à Mathilde une bonne
journée, il s'en va.
    Mathilde
reste là une heure, sans réussir à superposer à
la réalité le décor qu'avait bâti son
imagination. Huit étés déjà. En juillet,
probablement, fleurissaient par centaines les coquelicots. Avant que
le découragement la gagne, elle agite son ombrelle pour faire
signe à Sylvain et Célestin, qui sont deux silhouettes
minuscules en haut de la colline, de revenir. Elle compte, à
sa montre de poignet, qu'ils mettent moins de six minutes pour
arriver jusqu'à elle. Célestin dit : “
Là-haut, nous étions à la troisième ligne
des Boches, celle qui nous a fait perdre tant de monde." Elle répond : “C'est moins
loin que tu le disais. Il n'est pas

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