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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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marraine de Tina
Lombardi me l'apprend elle-même, comme vous le verrez un peu
plus loin. Vous vous en étiez rendu compte ? ”
Il bouge la tête, il répond après un soupir : "Mangez. Laissez-moi lire."
    Au
récit qu'elle a fait, sur des feuilles à dessin, des
révélations de Jean-Marie Rouvière, il reste
silencieux un long moment, debout dans le soleil, regardant le lac et
les mouettes qui se rassemblent sur les bancs de sable, à
marée basse. Il revient s'asseoir et dit : “Voilà
de quoi parlait le capitaine avant de mourir. C'est la grâce de
Poincaré que le commandant Lavrouye avait gardée sous
le bras."
    “
Pour quelle raison ? ”
    “Est-ce
que je sais ? Parce que c'était un fumier, tout
simplement, ou parce qu'il voulait mettre les bâtons dans les
roues à plus haut que lui, ou parce qu'il voulait faire porter
le chapeau à Favourier.
    N'importe
quoi. Si j'apprenais un jour qu'il a refusé d'interrompre un
bon dîner pour arranger les choses, je n'en serais pas étonné.

    La
lettre de madame Chardolot, la mère de son caporal, le laisse
perplexe. Il a côtoyé Urbain Chardolot longtemps encore,
après l'affaire de Bingo Crépuscule. En fait, ce n'est
qu'au printemps 18 que les hasards de la guerre les ont séparés.
Chardolot ne lui a jamais rien dit de ses doutes, ni probablement à
personne car les rumeurs allaient vite, au cantonnement ou dans la
tranchée, il les aurait entendues.
    “Vous
parliez beaucoup de ce dimanche, entre vous ?”
    “Pendant
quelque temps, oui. On parlait de l'attaque, des copains morts, des
blessés qui avaient au moins la chance d'être renvoyés
chez eux. Et puis, je vous l'ai dit, une emmerde chasse l'autre, les
jours effacent les jours.
    “Mais
des cinq condamnés, vous n'en parliez pas ? ”
    Il
baisse la tête. Il dit : “On y aurait gagné quoi ? Même pour les copains
morts, on préférait se taire."
    Ensuite,
il relit le passage de la lettre où est l'aveu qu'Urbain
Chardolot a fait à ses parents, pendant une permission :
    Vous
avez raison, j'aidû rêver tout cela, et aussi je
les ai vus tous les cinq morts dans la neige, et qu'un au moins, sice n'est deux, n'était pas celui que je m'attendais à
trouver là.
    Il
dit : “Je n'y comprends rien. Je ne savais pas que
Chardolot était retourné le lundi matin à Bingo.
    Nous
étions dans la troisième tranchée allemande, à
plus de trois cents mètres sur la droite et près d'un
kilomètre plus avant. Pour revenir vers l'arrière, on
coupait au plus court. ”
    “Qui
d'autre est revenu vers l'arrière pendant la nuit du dimanche
et le lundi matin ?” demande Mathilde.
    “Je
ne m'en souviens plus. Moi par exemple, avec les blessés ou
pour trouver à bouffer. Mais il ne me serait jamais venu à
l'idée de me risquer, sous la canonnade, à faire le
détour. ”
    Il
réfléchit, il dit : “Beaucoup de monde, le
dimanche soir, a dû redescendre, à un moment ou à
un autre. On ramenait les prisonniers, on remontait des munitions, on
allait aider les mitrailleurs à porter leurs pièces. Il
y a eu aussi beaucoup de confusion quand le sergent Favart a pris le
commandement. Encore que c'était un gars qui perdait pas la
tête dans les coups durs, et on l'a vu quand il était
notre lieutenant au Chemin des Dames, il lui fallait s'organiser. ”
    “Vous
m'avez dit que quelqu'un a vu le corps de Manech dans la neige, le
lundi matin, tué par une balle de l'Albatros. Celui-là
au moins est repassé par Bingo. Qui était-ce ?”
    Célestin
Poux balance la tête avec désespoir. Trop de choses
arrivaient en même temps, il avait recommencé à
neiger, il a oublié quel camarade lui a dit ça, et même
si ce n'était pas quelqu'un qui le répétait.
    Enfin,
après avoir réfléchi encore, il ajoute :
“Vous savez, cette phrase de Chardolot a peut-être été
déformée par sa mère et elle ne voulait pas dire
ce qu'on croit. Elle voulait dire, par exemple, que l'un des
condamnés, si ce n'est deux, n'aurait pas dû se trouver
là parce qu'il ne le méritait pas. Chardolot pouvait
penser à votre fiancé, qui n'avait plus sa raison, et
aussi à l'Eskimo, parce que l'Eskimo se prétendait
innocent. ”
    Mathilde
admet que la phrase de Chardolot a pu être déformée,
mais pas au point de lui donner un autre sens. Qu'il lise la lettre
de Véronique Passavant et le récit de sa rencontre avec
Tina Lombardi, au début de mars 1917, deux mois à peine
après Bingo. Il l'a déjà fait. Il dit que

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