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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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avait jetés dans
la neige du bled a pu se sortir de là, ce ne peut-être
que Cet Homme.
    “
Pourquoi ? ” demande Mathilde, sèche, en se
tournant vers lui.
    Il
est fatigué. Il a les joues rouges. Il hausse les épaules,
sans la regarder. Il dit : “Parce que la guerre dont on
parle dans toutes vos paperasses, je ne la reconnais pas, c'est à
croire que je n'ai pas fait la même." Il répète,
plus fort : “Merde !”
Ensuite, il a honte, il se calme. Mathilde reste à le
regarder, son pinceau en suspens. Il baisse la tête. Il dit : “Pour sortir de là, il fallait tout de suite se trouver
un bon trou et, comme l'avait conseillé le capitaine
Favourier, la boucler. Il fallait rester dans ce trou toute une nuit,
tout un jour, sans jamais plus attirer l'attention de personne,
manger de la neige, faire ses besoins sans pouvoir bouger un orteil,
attendre. Or Six-Sous chante Le Temps des cerises, Manech construit
un bonhomme de neige, Droit Commun veut se rendre, l'Eskimo descend
un biplan à la grenade. Il n'y a que lui, Cet Homme, des cinq
le plus fort, le plus calme, je le sais, je l'ai vu dans la cagna et puis , qui pouvait s'en sortir. Mais il ne
s'en est pas sorti non plus, je vous le dis, il en tombait trop, il
en tombait trop. Vous comprenez ? Il
en tombait trop sur Bingo et le bled devant. Même nous, qui
étions dans un bien meilleur abri que lui, on se faisait
massacrer, on a décarré. ”
    Mathilde
ne se laisse jamais prendre à la lassitude des autres. Cela
lui vient peut-être de ce qu'elle aussi, depuis tant d'années,
est obligée de faire bien des choses “ sans pouvoir
bouger un orteil". Mais elle commence à aimer Célestin
Poux, elle lui rend sa liberté pour un moment.
    La
tête pleine comme un melon, il court plonger dans le lac. Elle
le regarde nager d'une fenêtre de sa chambre. Il a passé
un maillot à bretelles de Sylvain. Il nage bien, mais pas
aussi bien que Manech. Elle se dit qu'il y a longtemps qu'elle ne
nage plus – qu'elle ne flotte plus, si l'on préfère
- avec des blocs de liège à ses chevilles. Elle
voudrait de toutes ses forces entendre, encore une fois, nager
Manech, même pas le voir, elle n'en demande pas tant, seulement
écouter les battements réguliers de ses bras et de ses
jambes dans l'eau du lac, par un paisible soir d'avril.
    Waouh ! Il crie, parce que l'eau est froide, et puis il nage, elle l'entend,
elle l'entend.
    À
un moment, Bénédicte entre dans la chambre, apportant
le coffret en acajou. Mathilde voit, par la fenêtre, que
Sylvain a rejoint Célestin dans l'eau, ils se battent pour se
faire boire la tasse. Bénédicte, près d'elle,
pousse un soupir résigné. Elle dit que les hommes, dès
qu'ils sont ensemble, qu'ils aient trente ans comme cinquante, c'est
plus fort qu'eux, ils redeviennent des enfants.
    Le
soir, on dîne à quatre dans la grande salle, toutes les
portes-fenêtres ouvertes. Mathilde dit qu'il serait bien que
son père engage Célestin pour s'occuper de la Delage et
aider Sylvain. Il y a un long silence. Ils ont tous les trois le nez
dans leur assiette. Elle dit, sans en penser un mot, simplement pour
être gentille : “ Si Célestin est d'accord,
évidemment."
    Arthur-Célestin
lève ses yeux de porcelaine vers elle, il la regarde
longtemps. Il demande : “ Mademoiselle Mathilde, est-ce
que je peux vous tutoyer ? Je suis très mal à
l'aise de dire vous aux gens, surtout à ceux qui me plaisent.
Quand je parle à une seule personne, j'ai l'impression de
faire une faute de français.”
    Elle
répond : “Il m'est bien égal qu'on me dise
tu ou vous, pourvu qu'on me dise des choses intéressantes.
Moi, je vous dis vous, Célestin, parce que j'ai peur de
t'avoir, depuis hier soir, beaucoup ennuyé."
    Il
sourit, de ce sourire qui fait fondre. Il se remet à manger.
Il dit à Bénédicte que c'est bon. Elle est
contente. Il y a un nouveau silence. Mathilde demande à
Sylvain ce qu'il en pense. Sylvain pense que tout ça est
catastrophique, oui, catastrophique. Il éclate de rire et
Célestin aussi. Bénédicte, sans même
comprendre, suit le mouvement. Mathilde reste seule avec la mine
longue, à les regarder comme s'ils étaient trois
pauvres gens.
    À
la fin, parce qu'elle déteste être exclue, même
d'un éclat de rire bête, elle tape sur la table à
faire trembler les assiettes. Elle dit - elle crie presque – à
Célestin Poux : “Je veux que tu m'emmènes
là-bas ! Tu as compris  ? Je veux voir de mes yeux

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