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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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exactement ?

    La
question le surprend ou il lui faut un peu de temps pour se souvenir.
    “De
Saintes. C'est pas très loin d'Oléron. Sa mère
avait une librairie à Saintes. ”
    “Après
Bingo, il est revenu au régiment ? ”
    Il
secoue la tête.
    “
Tu n'as jamais plus entendu parler de lui ? ”
    Il
secoue la tête. Il dit que cela ne signifie rien, que La
Rochelle guéri, s'il pouvait encore servir, on l'a
probablement versé dans l'intendance, l'artillerie ou quelque
chose, qu'après les hécatombes de 1916, on avait besoin
de tout le monde. Il est possible aussi qu'il ait eu la fine blessure
et qu'on l'ait renvoyé dans ses foyers.
    “
Parle-moi de lui. ”
    Il
soupire. En bas, il a laissé sa partie de cartes avec Maman,
Sylvain et Paul. S'il jouait contre Maman, il doit être à
cran malgré sa belle âme, il n'aspire qu'à
retourner se faire plumer. Maman, à la manille, à la
belote, au bridge, est une salope. Elle a le génie des cartes
mais en plus, pour les désemparer, elle insulte ou elle raille
ses adversaires.
    “On
l'appelait Jeannot", dit Célestin Poux. “Il n'était
pas plus joyeux que personne d'être dans la tranchée
mais il faisait son travail. Il lisait beaucoup. Il écrivait
beaucoup. Tout le monde écrivait beaucoup d'ailleurs. Sauf
moi. S'il y a quelque chose qui me fatigue, c'est bien ça. Une
fois, je lui ai demandé de me dicter une lettre pour cette
copine d'Oléron, Bibi, qui m'a tricoté les gants.
C'était tellement beau que j'en suis tombé amoureux
d'elle, jusqu'à ce que je la revoie. À part ça,
j'ai rien à dire, il y avait tant de bonhommes, partout, dans
cette guerre. ”
    Mathilde
le sait. Mais encore ? Il fait des efforts pour se souvenir.
    “Une
autre fois, au cantonnement, il m'a parlé de sa mère.
Il n'avait plus de père depuis tout gosse, c'est à elle
qu'il écrivait. Il n'avait pas de copine, pas de copains
autres que nous, il m'a dit qu'il n'avait que sa mère. Un fils
à maman, quoi. Il m'a montré une photo. Moi, j'ai vu
une femme vieille, habillée triste , pas
très jolie, mais il était fier et attendri, il disait
que c'était la plus belle du monde, qu'elle lui manquait, j'ai
dit que j'avais à faire et je me suis tiré, parce que
je me connais, je pleure aussi."
    Mathilde
entend presque la vois de Tina Lombardi, qu'elle n'a jamais connue :
« Comprenez-vous ? » Elle dit à
Célestin Poux qu'il est la honte des armées. Elle roule
jusqu'à sa table, lui donne sa lettre pour le curé de
Cabignac et le prie d'aller la mettre à la poste après
sa partie de cartes. Il répond qu'il y va tout de suite, qu'il
joue pour faire plaisir aux autres, mais qu'il déteste qu'on
ergote sur un point, qu'on l'asticote pour avoir jeté trop
tard son roi de carreau et qu'on lui vole ses sous comme à un
pigeon. Bref, que Maman, aux cartes, est une salope.
    Mathilde,
quand il est partie, téléphone à Pierre-Marie
Rouvière. C'est lui en 19, il y a cinq ans, qui s'est enquis
des malades mentaux, dans les hôpitaux militaires, des fois
que. Elle lui demande s'il lui serait difficile de savoir ce qu'est
devenu un soldat de cette compagnie qu'elle connaît bien,
évacué du front, qu'il sait, à la date qu'il
devine. Pierre-Marie dit :  «  Q uel
nom ? » Elle dit : « Jean Desrochelles, de Saintes, dans les Charentes."
Le temps d'écrire, il soupire : “ Il faut que je t'aime beaucoup, Matti. Beaucoup.” Et il
raccroche.
    À
Germain Pire, lorsqu'il entre dans sa chambre et qu'elle attend face
à la porte, droite et sévère dans son fauteuil,
elle dit d'emblée : “ Quand vous avez abandonné
vos recherches et que vous m'avez écrit cette lettre que j'ai
reçue à New York, vous vous doutiez que Tina Lombardi
était une meurtrière ? ”
    Avant
de répondre, il lui baise la main, alors qu'elle est censée
être une jeune fille, et la complimente sur sa bonne mine,
alors que le voyage à Bingo l'a épuisée,
anéantie, et qu'elle se sait moche à se tirer la langue
dans la glace. Il dit enfin : “ C'est mon métier de
flairer ces choses. À Sarzeau, dans le Morbihan, venait d'être
assassiné un lieutenant, Gaston Thouvenel, juste au moment où
cette détraquée séjournait dans la région.
Cela ne signifiait rien pour personne mais beaucoup pour moi. ”
    Lui
aussi, pour s'asseoir, prend la chaise près de la cheminée.
Il dit : “ Chère Matti, vous devriez aujourd'hui me
féliciter d'avoir cessé de la poursuivre. Surtout que
cela m'a

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