Un mois en Afrique
depuis Constantine, pour entrer dans celle couverte d'une végétation vivace qui entoure Batna. A peu de distance de ce chef-lieu, nous nous arrêtâmes à un beau moulin qui fournit les farines de la garnison, et qui était gardé par un détachement du 5me bataillon de chasseurs à pied. Au moment où nous reprenions notre marche, je vis accourir à ma rencontre un groupe d'officiers du 2me régiment de la Légion étrangère qui, M. le lieutenant-colonel de Caprez en tête, me firent le meilleur accueil. Avec eux, je retrouvai M. Pichon, lieutenant aux chasseurs d'Afrique, que j'avais connu à Paris, où nous eûmes ensemble le bonheur de rendre moins graves les suites d'un duel inévitable entre deux vaillants officiers, porteurs de deux des plus beaux noms de l'époque impériale.
En causant avec ces braves, je fus bientôt rendu à Batna, création de nos soldats, qui prend déjà les proportions d'une petite ville. Un simulacre d'enceinte, inachevée, et qui n'offrirait pas grande résistance en Europe, paraît devoir suffire à la garantir, au besoin, de toute attaque de la part des Arabes. Par ordre de M. le colonel Carbuccia, en ce moment à la colonne expéditionnaire, son logement fut mis à ma disposition par M. le lieutenant-colonel de Caprez, qui m'en fit les honneurs avec une charmante cordialité. Je commençai, dès lors, à sentir les effets de l'hospitalité, vraiment corse, du colonel Carbuccia et de sa vive amitié, qui ne s'est point démentie, et qui a été pour moi une consolation, au milieu des avanies que j'ai essuyées.
J'eusse voulu poursuivre ma route le lendemain, mais M. de Caprez, commandant intérimaire, ne crut pas devoir me laisser partir avec une aussi faible escorte, et il me prescrivit d'attendre au surlendemain, 19 octobre, le départ d'un convoi, dont il m'accorda le commandement.
Cette précaution était bien loin d'être superflue. La province tout entière se trouvait dans une agitation extrême. Non-seulement des meurtres sur des hommes isolés avaient eu lieu, même sur la route de Constantine que nous venions de parcourir, mais les montagnards des Aurès, dont le territoire s'étend presque aux portes de Batna, s'étaient montrés en force dans la vallée de Lambesa, à une très petite distance de la place. Lambesa est une ancienne ville romaine, dont les ruines sont d'un grand intérêt pour les archéologues. Dans des fouilles dirigées par le colonel Carbuccia, on y a trouvé des objets extrêmement intéressants, et particulièrement des statues d'un très beau style que j'ai vues à Batna. C'est sur les débris de cette vieille résidence des maîtres du monde que le gouvernement se propose de fonder la colonie où doivent être transportés les malheureux combattants de juin. Ni les matériaux, pierres et bois, ni des eaux abondantes, ni un sol fertile sous un climat sain, ne manqueront aux nouveaux colons. Puissent ces avantages adoucir leur sort, et leur rendre moins cuisants les regrets de l'exil !
J'employai la journée du 18 à visiter tout ce que Batna renferme de remarquable. La population civile m'a paru commerçante, industrieuse et prospère. Des boutiques bien assorties, un établissement de bains, des plantations très productives, dénotent les progrès qu'en persévérant dans son travail elle est appelée à faire tous les jours. Les établissements militaires, magasins, casernes, hôpitaux, sont dignes d'attention. Les charpentes de ces divers bâtiments sont toutes en bois de cèdre, que l'on retire d'une belle forêt qui couronne la cime d'une montagne voisine. Le cèdre ne justifie pas, du reste, sa réputation, et, en Algérie du moins, il paraît qu'il se détériore en peu de temps.
Dans la visite que je fis aux hôpitaux, je m'entretins avec plusieurs de nos blessés qui revenaient de la colonne du général Herbillon, et ce ne fut pas sans émotion que je reconnus parmi eux un garde mobile, jeune Parisien engagé depuis peu dans la Légion étrangère. Il avait reçu toute la décharge d'un tromblon ; couvert de blessures, il ne s'inquiétait que de son frère, volontaire comme lui, et qu'il avait laissé dans les Ziban ; heureusement, l'officier de santé répondait de sa guérison.
Le 19 octobre, après avoir pris les ordres de mon lieutenant-colonel, je dis mon lieutenant-colonel, puisque je savais déjà que j'étais destiné au commandement du 3e bataillon du 2e régiment de la Légion étrangère ; après avoir pris les ordres
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