Un mois en Afrique
étaient MM. Marinier et Thomas, capitaines dont l'état nous inspira, pour leur vie, de vives inquiétudes. Ils venaient de Biscara, sous l'escorte d'un détachement de chasseurs d'Afrique. M. Hamme, officier commandant, portait l'ordre de faire rétrograder, avec les blessés, les troupes que j'amenais de Batna.
Je renvoyai donc mon escorte, hormis M. Bussy, les deux chasseurs et deux des spahis que j'avais pris à Constantine, les deux autres étant restés malades à Batna, et je me remis en route avec M. Hamme, dont le détachement faisait partie de l'escadron du capitaine Vivensang, qui nous attendait à El-Kantara.
En quittant la rivière des Tamaris, et à mesure qu'on avance vers le sud, le pays, d'abord ondulé et encore couvert de quelque végétation, se montre tout à coup abrupte, stérile et montagneux. On arrive ensuite à un défilé rocailleux qui aboutit au passage d'El-Kantara, où une petite rivière torrentielle s'ouvre une étroite issue entre deux hautes montagnes d'une pierre rougeâtre, sombres, dépouillées et taillées à pic. C'est sur ce cours d'eau, au lit profondément encaissé, qu'est jeté un pont de construction romaine, dont la solidité a bravé le temps et les crues, et donné un nom à la localité, car El-Kantara en arabe veut dire le pont. A la sortie de ce passage, le regard, fatigué de s'arrêter sur les roches décharnées qui l'enserrent, est frappé d'un spectacle magique ; un vaste horizon apparaît sans transition, et au débouché même du défilé, une verte oasis de palmiers offre ses ombrages et ses fruits, tandis qu'au delà, comme en deçà, le sol est infertile et escarpé.
Ici, je dus remarquer que, malgré leur bravoure et leur fanatisme, les Arabes ne savent pas toujours profiter des avantages du terrain. Il est certain que, dans tout autre pays de montagnes, en Corse, en Grèce, en Catalogne ou dans le Tyrol, une poignée de tireurs eût suffi pour disputer le passage même à des forces considérables, et sans convoi, dans une gorge aussi bien disposée pour la guerre de chicane.
M. le capitaine Vivensang, qui était venu à notre rencontre, nous conduisit où campaient ses chasseurs.
Les deux détachements réunis, nous disposions d'une soixantaine de sabres, qui, en rase campagne, valaient au moins, comme on sait, et comme on verra par la suite, un nombre décuple d'Arabes. Sans doute, nous avons en France de beaux et bons régiments, mais il n'en est point qui satisfassent autant que cette admirable cavalerie de chasseurs d'Afrique l'observateur consciencieux qui aime à voir les agents de guerre véritablement appropriés à leur destination. Le soir, dans la tente du capitaine, je soupai gaiement avec les officiers, MM. Hamme, Chabout et Lermina. La soupe à l'oignon ni le vin bleu ne furent dédaignés. Du reste, le caïd de l'endroit, revêtu d'un bournous d'investiture, c'est-à-dire rouge, donné par nos autorités, nous fit apporter des poules, des oeufs et des oranges amères.
Le 21, au lever du soleil, nous pliâmes bagage et nous fîmes filer aussi lestement qu'on put nos mulets arabes et leurs conducteurs. La route ne nous offrit rien de particulièrement remarquable, si ce n'est une roche de l'aspect le plus bizarre, imitant à s'y méprendre, même à une faible distance, les ruines d'un château féodal. A la grande halte, nous chassâmes, le capitaine et moi, aux bords d'une rivière couverts de lauriers roses, et, malgré l'avis qu'on nous avait donné que nous rencontrerions l'ennemi avant d'être à El-Outaïa, nous arrivâmes sans encombre, après quelques heures de marche, à cette misérable oasis, dont les plantations ont été complètement détruites par Ahmed, bey de Constantine. Nous nous trouvions à environ deux cents kilomètres de cette ville, et à trente seulement de Biscara.
Le caïd et le maréchal-des-logis des spahis bleus du Désert, cavaliers irréguliers qui font pour nous le service de la correspondance, vinrent nous recevoir.
Ce maréchal-des-logis, qui s'appelle Déna, est un ancien chef de parti, autrefois la terreur du pays, qu'il parcourait en rançonnant, à la manière des Bédouins, les voyageurs ; au demeurant, brave et fidèle à ses engagements, il nous a été très utile, et je devais en avoir bientôt la preuve.
Pendant que les chasseurs dressaient les tentes et rangeaient les chevaux, je pris mon fusil et je me mis à poursuivre des ramiers, dont nous voyions de toute part d'innombrables
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