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Un mois en Afrique

Un mois en Afrique

Titel: Un mois en Afrique Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre-Napoléon Bonaparte
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volées. Ces oiseaux n'ont rien perdu en Afrique de la ruse qui les caractérise en Europe ; aussi, ennuyé de ne pouvoir en approcher, je m'arrêtai à une source où les femmes de l'oasis venaient remplir leurs cruches. Une seule, parmi ces Rébecca, justifiait la réputation de beauté qu'on accorde indûment au sexe d'El-Outaïa. C'était une jeune fille presque blanche, légèrement tatouée, aux yeux de jais, aux dents de perles, aux formes sveltes et arrondies, qu'un haïk couvrait à peine. Sans doute, le sentiment qu'elle paraissait avoir de ses charmes la rendait moins sauvage ; car, tandis que ses laides compagnes me faisaient des yeux d'hyène, elle sourit doucement à mon salut, tant il est vrai que l'instinct de la coquetterie n'abandonne jamais complètement les femmes d'aucun pays.
Mon brave et excellent compagnon, M. Bussy, qui parle la langue du pays comme un Arabe, et qui, avec son activité accoutumée, avait été aux renseignements, m'avertit qu'on avait connaissance de l'ennemi. Évidemment, la journée du lendemain ne se passerait pas sans le voir. Le soir, en soupant avec les officiers, il fut convenu de commander quelques cavaliers de Déna, qui, par la connaissance qu'ils ont des moindres plis du terrain et des ruses de leurs compatriotes, sont de précieux éclaireurs, qui devaient nous prévenir en cas d'embuscade.
Le boute-charge des chasseurs nous réveilla à la pointe du jour.
    Une heure après, on sonna à cheval, et avec la moitié de notre monde en tête et le reste en queue du convoi, nous nous avançâmes dans la plaine, précédés de nos spahis bleus. Le chemin suit cette plaine, ou plutôt cette vallée, jusqu'au col de Spha, gorge étroite où l'on traverse la dernière chaîne de l'Atlas, limite du Désert, au-delà de laquelle, à une petite distance, se trouve Biscara. Le sol, généralement uni, d'un aspect sauvage et dominé au loin par des montagnes de sel, est relevé par-ci, par-là, de quelques mamelons isolés, et coupé de ravins ou de lits de torrents desséchés, très propres aux embuscades. Nous savions à n'en pas douter que Si-Abd-el-Afid, ce marabout influent des monts Aurès, qui, au mois de septembre dernier, avait été frotté d'importance par l'infortuné commandant Saint-Germain, était aux aguets avec un goum nombreux. Deux ou trois jours avant, ces partisans avaient assassiné un chasseur et deux spahis à l'entrée du col de Spha, où nous vîmes le sol encore rougi de leur sang. On prétendait aussi que nous aurions affaire à des fantassins qu'on avait vus, disait-on, postés dans le défilé, ce qui nous aurait embarrassés quelque peu, attendu que nous n'avions pas nous-mêmes une seule baïonnette ; mais dans la plaine, quel que fût le nombre des ennemis, la valeur éprouvée de nos bons chasseurs et le prestige de leur uniforme nous garantissaient, de gré ou de force, le passage du convoi. On va voir si nous nous trompions.
Le manque absolu d'eau ne nous avait pas permis de faire de grande halte. Une harde de gazelles venait de partir, et je faisais remarquer à un de mes voisins que, dans un autre moment, la nature du terrain nous eût invités à les poursuivre, lorsque je fus frappé de l'aspect singulier de deux mamelons isolés et rapprochés qui, à l'endroit où nous étions, masquaient le débouché du col, situé à un petit intervalle derrière eux.
    J'observai que, suivant toutes les probabilités, là devait être l'embuscade. Elle y était, en effet ; mais, en nous voyant avancer, l'ennemi avait filé doucement par la droite, et gagné le lit d'un torrent à notre gauche. Nos spahis bleus, s'en étant approchés avec précaution, le fusil haut, firent tout à coup demi-tour et revinrent vers nous au galop. Le premier arrivé nous dit en arabe, en montrant du doigt le lit du torrent : le goum de Si-Abd-el-Afid est là. Nous n'aperçûmes rien d'abord. Cependant, ayant fait filer l'avant-garde et le convoi, ce qui ne fut pas fait sans peine, je restai avec M. Vivensang et deux autres officiers à l'arrière-garde. Nous n'avions, en définitive, qu'une trentaine de chevaux, et bientôt nous vîmes, à quelques cents mètres de nous, sortir successivement d'embuscade un grand nombre de cavaliers ennemis, qui se rangèrent en assez bon ordre de l'autre côté du ravin. Cette circonstance me fit penser de suite qu'ils n'étaient pas décidés à nous aborder, et qu'ils nous redoutaient, bien qu'ils fussent au moins deux cents.

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