Un Monde Sans Fin
pieds.
Debout, figé sur place, il haletait, regrettant déjà sa
vivacité. Les apprentis n’étaient pas de bons partis aux yeux des jeunes filles
qui ne voulaient pas attendre des années avant de pouvoir se marier. Mais cela
ne l’avait pas empêché de courtiser plusieurs demoiselles de Kingsbridge.
L’année précédente, Kate Brown avait même été suffisamment éprise de lui pour
lui ouvrir la porte du verger, par un chaud après-midi d’été. Hélas, son père
était mort subitement peu après et la famille était partie s’installer à
Portsmouth. C’était la seule femme que Merthin avait connue.
Dans un sens, il fallait être fou pour rejeter la
proposition de Griselda. Dans un autre, il l’avait échappé belle car c’était
une méchante fille qui n’avait pas le moindre sentiment pour lui ! En
résistant à la tentation, il avait agi en homme. Il ne s’était pas livré à ses
bas instincts, comme les animaux. Il pouvait être fier de lui. Il avait pris la
bonne décision.
Mais voilà que Griselda se mit à pleurer.
Oh, elle ne pleurait pas fort mais ses sanglots parvenaient
jusqu’à lui. Il se dirigea vers la porte de derrière. Comme toutes les maisons
de la ville, celle d’Elfric possédait une cour – plus exactement un terrain en
longueur, dont une partie était occupée par des latrines et la fosse à ordures
et l’autre par des piles de bois de charpente, des pierres et toutes sortes
d’outils, cordes, seaux, brouettes et échelles. La plupart des habitants
utilisaient cet espace pour y élever des poules et un cochon, y faire pousser
quelques légumes et un arbre fruitier. Maître Elfric en avait fait un entrepôt
où il stockait bois de charpente et outillage.
Merthin regardait la pluie tomber sur la cour. Les pleurs de
Griselda lui vrillaient les tympans.
Il songea à sortir en ville ; il alla même jusque la
porte d’entrée mais, au moment de l’ouvrir, il se dit qu’il n’avait nulle part
où aller. Chez Caris, il n’y avait que Pétronille et elle ne le laisserait pas
entrer. Il envisagea de rendre visite à ses parents. Las, c’étaient les
dernières personnes qu’il avait envie de voir quand il était de cette humeur.
Il aurait volontiers bavardé avec son frère, mais Ralph n’était pas attendu à
Kingsbridge avant la fin de la semaine. D’ailleurs, il ne pouvait pas se
promener dans les rues sans une cape pour se couvrir. Non que la pluie le
dérange ! Deux-trois gouttelettes ne lui faisaient pas peur. Non, ce qui
le gênait, c’était la protubérance sous sa tunique, qui ne diminuait pas.
Ses pensées revinrent à Caris. Il l’imagina buvant du vin,
se régalant de bœuf rôti et de pain de blé. Quelle robe portait-elle ? Sa
préférée, d’un rose soutenu, avec un col échancré qui révélait son long cou à
la peau si claire ? Las, les pleurs lancinants de Griselda prenaient le
pas sur tout le reste. Il aurait voulu la consoler, lui dire qu’il était désolé
que son refus la mette dans cet état, qu’il ne la rejetait pas, qu’il la
trouvait au contraire très attirante mais qu’ils n’étaient pas faits l’un pour
l’autre.
Il se rassit, se releva. Comment se concentrer sur son
échafaudage quand les sanglots d’une femme se répercutaient dans toute la
maison ? Impossible de rester à l’intérieur, comme de sortir. Impossible
de rester tranquillement assis à réfléchir.
Il grimpa l’escalier.
Griselda s’était jetée à plat ventre sur la paillasse qui lui
tenait lieu de lit. Sa robe remontée laissait voir ses cuisses charnues, dont
la peau, très pâle, semblait toute douce au toucher.
« Je suis désolé, dit-il.
— Va-t’en !
— Ne pleure pas.
— Je te déteste ! »
Il se mit à genoux près d’elle et lui tapota le dos.
« Je ne peux pas rester dans la cuisine à t’entendre pleurer. »
Elle roula sur elle-même et leva vers lui un visage baigné
de larmes. « Je suis laide et grosse, et tu me détestes.
— Je ne te déteste pas. » Il sécha ses joues
humides du dos de sa main.
Elle saisit son poignet et l’attira vers elle. « C’est
vrai ? Vraiment ?
— Oui. Mais...»
Appuyant sur le cou de Merthin, elle le força à baisser la
tête jusqu’à elle. Il gémit, rendu fou de désir par ce baiser. Il s’allongea
près d’elle sur le matelas, se jurant de ne rester qu’un moment. Le temps de la
consoler et je redescends dans la cuisine.
Elle prit sa main et la glissa
Weitere Kostenlose Bücher