Un Monde Sans Fin
économiser sur le bois de construction. Sans
même parler de la paie des charpentiers.
— De toute façon, il est impossible de construire la
voûte sans coffrage.
— Si, dit Merthin, c’est possible. Il existe une
méthode...
— Ça suffit ! le coupa Elfric. Tu es ici pour
apprendre, pas pour nous donner des leçons !
— Un instant, maître Elfric, intervint Godwyn. Si votre
apprenti a raison, le prieuré pourrait économiser une somme rondelette. Que
veux-tu dire ? » dit-il en regardant Merthin.
Celui-ci commençait à regretter d’avoir évoqué le sujet. Il
s’en mordrait sûrement les doigts par la suite. Mais il ne pouvait pas reculer.
Sinon, les autres croiraient qu’il ne savait pas de quoi il parlait. Il se
lança : « La méthode est décrite dans un livre de la bibliothèque du
monastère. Elle est très simple. Elle consiste à accrocher au mur des cordes
auxquelles sont suspendus des morceaux de bois. Chaque fois qu’on pose une
pierre, on enroule une corde autour en veillant à ce qu’elle forme un angle
droit par rapport à la face de la pierre. La corde retient la pierre et
l’empêche ainsi de glisser hors de son lit de mortier et de tomber. »
Un silence suivit ses paroles. Tout le monde se concentrait
pour se représenter la situation. Puis frère Thomas hocha la tête. « Oui,
ça devrait fonctionner. »
Maître Elfric semblait furieux.
« Où as-tu lu ça ? s’enquit frère Godwyn,
intrigué.
— Dans un ouvrage qui s’appelle le Livre de Timothée ,
répondit Merthin.
— Je le connais. Je ne l’ai jamais étudié. À
l’évidence, j’ai eu tort. » Puis, s’adressant aux autres, il ajouta :
« En avons-nous vu assez ? »
Elfric et Thomas inclinèrent la tête. Comme les quatre
hommes quittaient la charpente, son patron murmura à Merthin : « Tu
viens de te priver de plusieurs semaines de travail. Je parie que tu ne feras
plus ce genre de bêtise quand tu seras à ton compte ! »
Elfric disait vrai. En démontrant l’inutilité de fabriquer
un coffrage, Merthin s’était privé d’un gagne-pain évident. Il n’y avait pas
réfléchi sur le moment, mais ne le regrettait pas. Il y avait quelque chose de
malhonnête à laisser quelqu’un dépenser de l’argent dans le seul but de se
garantir un travail. Il ne voulait pas mener sa vie ainsi.
Ils regagnèrent le chœur par l’escalier en colimaçon. Elfric
dit à Godwyn : « Je viendrai vous voir demain avec une estimation du
coût.
— Bien. »
Elfric se tourna vers Merthin. « Reste ici et compte
les pierres de la voûte. Tu m’apporteras la réponse à la maison.
— Oui. »
Elfric et Godwyn partirent, Thomas s’attarda. « Je t’ai
mis dans l’embarras, dit-il.
— Vous vouliez me mettre en valeur. »
Le moine leva les épaules d’un air ennuyé et fit de son bras
droit un geste signifiant : Que puis-je faire maintenant ?
Son bras gauche était amputé à hauteur du coude, séquelle de
la blessure qu’il avait reçue dix ans auparavant et qui s’était infectée.
Merthin ne repensait quasiment jamais à l’étrange combat auquel il avait
assisté dans la forêt. Il avait pris l’habitude de voir en Thomas un moine
portant l’habit. Pourtant, en cet instant, la scène d’antan lui revint
brusquement en mémoire : le chevalier poursuivi par des hommes d’armes,
ses amis et lui cachés dans les buissons, l’arc et la flèche, la lettre
enterrée ; frère Thomas le traitait toujours avec gentillesse en raison,
sans doute, de leur connivence passée et il ressentit le besoin de lui confier
qu’il ne l’avait pas trahi. « Je n’ai jamais parlé de la lettre à qui que
ce soit, dit-il paisiblement.
— Je sais, répondit Thomas. Si tu en avais touché un
mot, tu ne serais plus de ce monde. »
*
La plupart des grandes villes étaient dirigées par une
guilde des marchands à laquelle appartenaient les notables. En dessous venaient
les guildes professionnelles, qui regroupaient chacune les représentants d’un
métier particulier : maçons, charpentiers, tanneurs, tisserands,
tailleurs. Puis il y avait les guildes des paroissiens. Celles-ci étaient
chargées de récolter les fonds nécessaires à l’achat des habits sacerdotaux et
les objets de culte, ainsi que de venir en aide aux veuves et aux orphelins.
Les villes dotées d’une cathédrale étaient régies
différemment. À l’instar de Saint-Albans et de
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