Un Monde Sans Fin
Saint-Edmond-de-Bury,
Kingsbridge était placé sous l’égide d’un monastère. Celui-ci possédait la
presque totalité des terres alentour. En effet, les marchands de la guilde
n’étaient pas autorisés à être propriétaires fonciers. À Kingsbridge, les plus
importants d’entre eux appartenaient à la guilde de la paroisse de
Saint-Adolphe, tout comme les artisans. C’était l’association la plus puissante
de la ville. À ses tout débuts, il y avait de cela fort longtemps, elle avait
sans aucun doute rassemblé de pieux fidèles désireux de bâtir la cathédrale et
chargés de réunir les fonds dans ce but. À présent, sa mission principale
consistait à édicter des lois régissant la conduite des affaires et à nommer un
prévôt chargé de veiller à leur respect, assisté dans cette tâche par six
échevins. La guilde était également dépositaire des mesures en usage à
Kingsbridge pour le commerce des marchandises. Ces mesures concernaient le
poids d’un sac de laine, la largeur d’un coupon de tissu ou le volume d’un
boisseau. Elles étaient exposées à la vue de tous dans le vestibule du
bâtiment. Contrairement à ce qui se pratiquait dans les villes voisines, les
marchands de Kingsbridge n’étaient pas autorisés à rendre la justice ou à siéger
au tribunal. Ce pouvoir, le prieur de Kingsbridge le conservait jalousement
entre ses seules mains.
Dans l’après-midi de ce dimanche de Pentecôte, la guilde de
la paroisse tint banquet dans ses murs à l’intention des marchands étrangers
les plus renommés. La cérémonie était présidée par Edmond le Lainier, prévôt de
la guilde. Comme Caris devait tenir le rôle d’hôtesse auprès de son père,
Merthin en fut réduit à passer seul ce jour de congé. Par bonheur, Elfric et
Alice étaient également conviés au banquet. Il put donc rester dans la cuisine
à réfléchir en écoutant la pluie tomber.
Un petit feu brûlait dans l’âtre, non pour chauffer la
maison, car le temps n’était pas au froid, mais pour cuire un plat, et sa lueur
rougeoyante apportait une touche de gaieté à la pièce. Griselda, la fille de
maître Elfric, vaquait à l’étage. Il l’entendait se déplacer d’une pièce à
l’autre.
C’était une belle demeure, bien que plus petite que celle
d’Edmond. Le rez-de-chaussée ne comportait que cette cuisine et le vestibule d’où
partait l’escalier. Celui-ci débouchait sur un palier ouvert où dormait
Griselda et sur lequel donnait la chambre à coucher du maître de séant et de
son épouse, fermée par une porte. Merthin, quant à lui, dormait dans la
cuisine.
À une certaine période, il y avait de cela trois ou quatre
ans, la pensée de monter l’escalier et de se glisser sous les couvertures à
côté du corps chaud et replet de Griselda l’avait parfois tourmenté la nuit.
Mais la jeune fille ne lui avait jamais manifesté le moindre signe
d’encouragement, loin de là. Elle le traitait comme un domestique, se
considérant à mille coudées au-dessus de lui.
Assis sur un banc, Merthin regardait danser le feu en se
représentant l’échafaudage qu’il allait devoir fabriquer à l’intention des
maçons qui reconstruiraient la voûte. Le bois était cher et les troncs de bonne
longueur difficiles à trouver, car les propriétaires de bois succombaient
souvent à la tentation de vendre leurs arbres avant qu’ils n’aient atteint leur
taille définitive. C’est pourquoi les constructeurs cherchaient toujours à
réduire le plus possible le nombre des échafaudages et leurs dimensions. En les
suspendant aux murs, au lieu de les faire reposer sur le sol, ils économisaient
ainsi une bonne quantité de bois.
Griselda, entrée dans la cuisine, alla se tirer un bol de
bière anglaise au tonneau. « Tu en veux ? » proposa-t-elle à
Merthin.
Il acquiesça, étonné de son amabilité subite. Sa surprise se
mua en stupéfaction quand il la vit s’asseoir en face de lui pour savourer sa
bolée. Fallait-il qu’elle se sente esseulée pour rechercher sa compagnie !
Sans doute était-ce parce que son amant, Thurstan, avait pris la clef des
champs, trois semaines plus tôt.
Merthin but une gorgée de sa bière. Le breuvage lui chauffa
l’estomac et le détendit. Cherchant un sujet de conversation, il lui demanda ce
qui était arrivé à Thurstan.
Elle s’emballa comme une jument indomptée. « J’ai
refusé de l’épouser.
— Et pourquoi ça ?
— Il est trop jeune pour
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