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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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débordaient sur la galerie et, du côté des communs, les domestiques, entre deux services, se divertissaient en chantant.
     
    – Belle nuit pour mon vieil ami Simon et pour votre père. Ce phare est un élément bienfaisant du progrès, dit Taval en désignant de son verre le passage du rayon lumineux.
     
    – Mon grand-père a dit, cet après-midi : « Le progrès est un dieu païen », rappela Pacal.
     
    – Le progrès est une manifestation matérielle de la bonté du Dieu unique. C'est Lui qui inspire les hommes et leur permet de réaliser de grandes choses. Je viens d'en avoir une preuve cet après-midi. Savez-vous que lord Simon et votre père ont adopté mon idée d'un réservoir au mont de la Chèvre, où j'ai deux bonnes sources intarissables. Par gravité, l'eau pourra être distribuée dans le Cornfieldshire quand Monsieur l'Ingénieur aura établi un nouveau réseau de canalisations.
     
    – Autre manifestation bénéfique du dieu Progrès, concéda Pacal, goguenard.
     
    Songeur, il regagna la salle de bal : la construction du réservoir au mont de la Chèvre et la distribution de l'eau dans l'île occuperaient son père pendant des mois. À cinquante-deux ans, le phare achevé, Charles Desteyrac eût souffert de l'inactivité, même si Ottilia était toujours prête à proposer une croisière dans les îles, une escapade à Nassau ou à Cuba, voire un séjour à New York ou en Angleterre.
     

    Les insulaires, habitués à la présence du phare, ne levaient plus le nez, la nuit, pour suivre le tournoiement lumineux de l'Ounca Lou Lighthouse quand, mi-mars, survint une nouvelle qui jeta la consternation dans tous les foyers britanniques de l'île et, plus encore, à Cornfield Manor.
     
    Le 2 mars, la reine Victoria avait échappé à un nouvel attentat, le septième depuis son couronnement.
     
    Lors d'une réunion d'après dîner, à Cornfield Manor, l'événement fut révélé avec émotion par Ottilia qui avait lu les journaux arrivés le matin même.
     
    – La reine descendait de son train, à Windsor, après un séjour à Londres, et venait de prendre place dans sa berline pour se rendre au château quand un Irlandais…
     
    – Un Irlandais, bien sûr ! Quelle race ! interrompit Cornfield.
     
    – Un nommé Roderick McLean, un chômeur âgé de trente ans, qui avait passé un an dans un hôpital pour aliénés, a tiré un coup de revolver en direction de la reine. Deux étudiants d'Eton, venus acclamer Victoria, ont heureusement empêché l'homme de tirer un deuxième coup de feu. Il a été arrêté par le surintendant de la police de Windsor. Notre reine n'a marqué aucune émotion, compléta Ottilia.
     
    Quand lord Simon eut donné libre cours à son indignation et voué aux gémonies tous les fous irlandais qu'on laissait en liberté, sa fille ajouta que l'écrivain Rudyard Kipling avait écrit, en apprenant l'attentat, une ballade que le Times venait de publier sous le titre Ave Imperatrix .
     
    Lord Simon était un fervent lecteur de Kipling dont tous les ouvrages figuraient dans la bibliothèque de Cornfield Manor. Il appréciait le patriote zélateur de l'Empire, né à Bombay, en 1865, d'un professeur d'architecture, John Lockwood Kipling, et de la fille d'un pasteur de Manchester, connu des Cornfield. L'écrivain avait révélé les charmes et intrigues de la société anglo-indienne, fait connaître aux Européens l'armée des Indes. On lui devait de beaux récits, exaltant l'héroïsme des soldats et des cavaliers, notamment des lanciers du Bengale, régiment de lord Simon et du major Carver.
     
    – Lis-nous ce poème, Pacal, ordonna-t-il.
     
    Lady Ottilia tendit le journal à son beau-fils qui, aussitôt, s'exécuta.
     

    –  Du fond de tous les coins de la terre, partout,
    Monte un péan à Dieu, qui a su détourner
    La mort, avec la main du misérable fou
    Qui, tout armé de mort, t'a voulu menacer.
     

    Une école parmi tant d'autres où s'entraîne
    La race de ceux-là dont le plus cher ébat
    Est de combattre pour leur fière souveraine
    Et de risquer leur être en ce vaillant combat,
     

    T'adresse tous ses vœux, bien humbles, bien sincères,
    Quoique son vers soit rude, indigent et rugueux,
    À toi, notre plus grande et certes la plus chère,
    Victoria, la Reine, par la grâce de Dieu 6  !
     

    Lord Simon demanda à conserver le journal.
     

    Une autre nouvelle, plus tragique, vint, en mai 1882, augmenter chez les Britanniques des Bahamas

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