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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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ces soirées, lord Simon se lançait parfois dans un monologue que le jeune homme se gardait d'interrompre autrement que par de discrets « certes », « bien sûr » ou encore « je comprends ». Il recevait les propos de l'aïeul comme leçons de savoir-vivre et de philosophie.
     
    Un soir de septembre, tandis que Pacal suivait le ballet des chauves-souris en constatant pour la centième fois qu'elles s'appliquaient à faire des huit devant la galerie, avec la régularité d'un balancier, il vit son grand-père chercher du regard la constellation de la Croix du Sud, dont il aimait à dire qu'à une certaine saison et certaine nuit elle apparaissait exactement à la verticale de Soledad.
     
    – J'ose espérer que les étoiles ne s'offusquent pas de la concurrence de notre phare, dit-il en riant.
     
    – Pour elles, nous ne sommes même pas un ver luisant, dit Pacal.
     
    – Qui sait ! Qui peut dire ce que l'on voit des étoiles ? La réalité de l'univers visible n'est pas la vérité de l'univers. Sur terre aussi, la vérité est toujours autre que celle que nous déduisons de nos visions. Derrière toute chose visible, il y en a une autre, invisible par nos yeux de chair et qu'on ne connaîtra, peut-être, que par l'âme libérée par la mort. C'est en tout cas ce que croyaient les Grecs.
     
    – Et vous, y croyez-vous ?
     
    – Comme Talleyrand, je m'offre, dans ce domaine comme en d'autres, le luxe de l'incrédulité, dit lord Simon, plaisantin.
     
    – L'incrédulité serait-elle une vertu ?
     
    – Pas une vertu au sens théologal, mais une vertu sociale. Méfie-toi de tout, de tous, même de tes propres pensées.
     
    – Alors, comment être sûr de bien agir quand il faut prendre une décision ? demanda Pacal, toujours pratique.
     
    – En acceptant de nous tromper. Car la vérité profonde est parfois dans l'erreur apparente, dit le lord.
     
    – Avant de décider, on peut prendre conseil de gens compétents dans leur spécialité, insista le jeune homme.
     
    – Certes, mais une fois que tu les as entendus, retire-toi en un lieu tranquille, réfléchis et décide seul. Et si ta décision déçoit l'un ou agace l'autre, n'en tiens aucun compte. Rappelle-toi que celui qui a raison est souvent seul de son avis.
     
    La nuit avait le pouvoir stimulant de rapprocher les pensées du novice et du patriarche. Seul le rougeoiement de leur cigare, tels des feux de veille, indiquait leur présence physique sur la galerie de la vieille maison. Parfois s'imposaient des silences et la respiration de l'Océan parvenait jusqu'à eux. Cela ramenait lord Simon à l'un de ses thèmes favoris : l'insularité.
     
    – L'isolement d'une île fait que les choses, bonnes ou mauvaises de la terra ferma – comme les vieux planisphères nomment les continents – ne nous parviennent qu'avec retard, comme épurées, débarrassées de leur enrobage de réclame savante ou mercantile, des engouements précipités ou des vogues. Cela nous donne le temps de la réflexion, pour décider si nous allons accepter ou rejeter ce que la science ou le commerce, souvent complices, nous envoient. L'Océan est notre protecteur. Nous devons penser et agir en thalassocrates, constata-t-il.
     
    – Soledad ne peut tout refuser du progrès, fit observer Pacal.
     
    – Mais il faut le prendre à petites doses et avec discernement. Soledad s'est policée lentement. À l'origine, c'était une île à chèvres, un tas de rochers battus des vagues comme Ithaque, le royaume d'Ulysse. Rappelle-toi, quand le roi de Sparte veut offrir des chevaux à Télémaque, le fils d'Ulysse les refuse poliment. Si j'ai bonne mémoire, il répond à peu près : « Je ne puis conduire des chevaux en Ithaque. Ithaque n'a ni prairie de trèfle, ni orge, ni froment, ni piste pour faire courir les chevaux. Ce n'est qu'une île à chèvres. » Télémaque avait raison de refuser un présent dont, à Ithaque, on n'eût rien pu faire. La description homérique s'applique à Soledad telle que la découvrirent, du pont de leurs nacelles, les Espagnols de Colomb. Une île où ils trouvèrent des chèvres sauvages pour améliorer l'ordinaire, d'où le nom un peu prétentieux de notre montagnette : le mont de la Chèvre. Nous sommes thalassocrates parce que Soledad, comme Ithaque, est d'abord une terre de marins, et les descendants des Arawak, comme leurs ancêtres, vivent encore de la mer.
     
    – Y compris du wrecking , persifla

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