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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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l'opération, qui lança sur les vagues une couronne de capucines jaunes, symbole de tristesse et de séparation, tressée par les femmes arawak de Buena Vista.
     
    – Funérailles sans dépouille mortelle, mais funérailles de marin, commenta Lewis Colson.
     
    Le même soir, après le dîner pris tête à tête avec son petit-fils, lord Simon se mit à l'orgue pour traduire en musique leur commun chagrin. Il choisit the Silver Swan , une pièce d'une austère simplicité diatonique, d'Orlando Gibbons 1 .
     
    Le dernier accord plaqué, il revint s'asseoir en face de Pacal.
     
    – Ma sœur fut longtemps adepte de la doctrine stoïcienne. Jusqu'à l'arrivée de ton père, qui apporta un élan de vie nouveau, Lamia affichait un dédain suprême pour les biens et les intérêts terrestres. Elle estimait que l'isolement est une condition essentielle de la vertu et, partant, du bonheur. C'est pourquoi elle croyait nécessaire de protéger ses Arawak de Buena Vista des méfaits de la civilisation.
     
    – Touchante utopie, observa Pacal.
     
    – Autrefois, le monde se divisait en zones et en classes étanches. Le progrès a abattu les cloisons et réduit les distances. Il facilite partout la pénétration des idées, les échanges, la connaissance de l'autre et la multiplication des envies, donc des besoins. Lamia ne l'admit qu'à la fin de sa vie. Elle avait enfin pris conscience qu'elle ne pouvait plus empêcher ses Arawak – qu'elle eût volontiers maintenus dans une réserve, comme le font aujourd'hui les Américains des Indiens qu'ils n'ont pas exterminés – de sortir de Buena Vista pour découvrir le monde et ses mœurs nouvelles. Mon ami Carver, qui l'aimait depuis l'adolescence, l'a aidée à franchir le pas. Un peu tard, mais dans la joie, dit-il.
     
    À son tour, Pacal se mit au clavier du grand Steinway qui, dans la salle de musique faisait face à l'orgue. Parmi les partitions rapportées d'Europe il choisit, pour alléger l'atmosphère, une des Valses brillantes de Chopin, morceau préféré de Lamia.
     
    Lord Simon apprécia avec émotion ce rappel des belles soirées de Cornfield Manor, quand sa sœur retrouvait par la danse l'aisance et le plaisir de la jeunesse.
     
    – La mort est, pour chacun d'entre nous, un rendez-vous, dont le lieu et l'heure ne sont pas fixés. Mais rendez-vous accepté depuis la naissance. Je ne crois pas plus au paradis qu'à l'enfer, pas plus à la vie éternelle qu'à la résurrection, pas plus aux jardins d'Allah qu'aux vergers offerts aux Arawak derrière le soleil. Tous ces futurs meilleurs, promis par les religions, ne servent qu'à dissimuler le néant qui tant effraie les humains, dit-il, révélant pour la première fois un agnosticisme circonstancié.
     
    – Vous réduisez les religions au rôle de paravent mystique, s'étonna Pacal.
     
    – Toutes les religions sont superstitions domestiquées. Seule la religion chrétienne est acceptable comme morale de bon sens. Souviens-toi de ce que disait Napoléon I er  : « Nulle société ne peut exister sans morale ; il n'y a pas de bonne morale sans religion, il n'y a donc que la religion qui donne à l'État un appui ferme et durable. »
     
    – Cependant, vous suivez les préceptes et rites de la Haute-Église anglicane, observa Pacal.
     
    – Pour que « l'État soit ferme et durable », nous autres aristocrates devons donner l'exemple d'un engagement spirituel propre – par-delà le temporel et toutes les différences de naissance, d'éducation, de fortune – à souder la communauté. Quitte à garder par-devers nous doutes et certitudes… s'il nous arrive d'en avoir !
     
    – Et Dieu, dans tout ça ?
     
    – S'il se cache derrière la mort, paternel ou justicier, nous le saurons toujours assez tôt, conclut Cornfield, retrouvant son goût de la moquerie.
     

    Cette automne-là, les ouragans ne furent que tempêtes tropicales et Charles Desteyrac put entreprendre, au mont de la Chèvre, le creusement du vaste réservoir qu'alimenteraient en eau douce les deux sources voisines de l'ermitage du père Taval.
     
    Lord Simon autorisa l'ingénieur à commander les tuyaux nécessaires à la distribution de l'eau dans le Cornfieldshire, mais aussi au village des artisans, à celui des pêcheurs, aux résidences des marins, à l'hôpital et aux deux ports de l'île. La distribution de l'eau devait fonctionner suivant le principe des vases communicants. Un réducteur de pression se

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