Un paradis perdu
large de la fuente del Ángel, un énorme requin blanc, solitaire, d'une extrême vivacité, d'au moins vingt pieds de long « avec une mâchoire capable de broyer une barque », dirent-ils.
– Un monstre qui n'était peut-être qu'un requin pèlerin. Ce squale peut atteindre vingt-cinq pieds de long et peser huit tonnes, mais il ne mange que des petits poissons, dit Pacal.
– C'est un fait que le grand blanc est rare, dans nos eaux. Mais il a, vous le savez, la réputation justifiée d'être un mangeur d'hommes. Sima, alerté, prévint lady Lamia. Connaissant ses Arawak, toujours prêts à imaginer la présence de pieuvres géantes, d'orques et de monstres marins de toutes sortes, elle ne crut pas à leur histoire. Cependant, comme on ne pouvait interrompre longtemps la pêche, la sœur de lord Simon, dont on dit qu'elle a tué un millier de requins, prit un jeu de harpons et s'embarqua avec les deux hommes qui disaient avoir vu le grand blanc. La matinée s'écoula sans qu'aucun requin, ni blanc, ni marteau, ni bleu, ni tigre, ni requin scie, ni requin baleine, apparaisse et lady Lamia regagna South Creek. Elle rassura ses gens, qui reprirent leurs plongées. Mais, à la fin de l'après-midi, alors que nos pêcheurs d'éponges remontaient dans leurs barques, la récolte du jour étant suffisante, l'un deux, en train de se hisser à bord, eut une jambe saisie par un requin que personne n'avait vu approcher. À coups d'aviron, ses compagnons firent lâcher prise au squale, qui menaçait de faire chavirer l'embarcation. Il eût sans doute réussi si le patron de la barque n'avait eu l'idée d'user du lance-fusée comme d'un pistolet. Effrayé par le tir, le requin s'éloigna, ce qui permit à nos hommes de gagner le rivage. Tous affirmèrent que ce requin ne ressemblait pas à ceux qu'ils connaissaient. Il était gigantesque, effrayant et surtout blanc, expliqua Lewis.
– Le pêcheur a-t-il été gravement mordu ?
– Uncle Dave a dû l'amputer, les os de la jambe étant irrémédiablement broyés.
– Mais cela n'explique pas la disparition de lady Lamia, dit Pacal.
– Le drame intervint le lendemain quand, fort en colère, elle décida de provoquer le requin meurtrier et d'en finir avec lui pour calmer les esprits. Vous la connaissez. Même sans croire vraiment au requin blanc, elle tenait à venger son pêcheur blessé. Au matin, elle s'embarqua sur son petit voilier bahamien, avec le vieux Sima, qui n'a jamais eu peur de rien. Ils emportaient, en plus des gros harpons à barbelures, deux carabines. J'oublie de vous dire qu'elle avait fait égorger un chevreau, que Sima jetterait à l'eau comme appât. À bonne distance, car nos Arawak tiennent le grand blanc pour un envoyé des enfers, les pêcheurs suivirent la quête de lady Lamia jusqu'à ce que son voilier disparût derrière le Cabo del Diablo. Peu après, les gens de Southern Creek entendirent deux détonations. Ils se précipitèrent. La mer, devenue grosse sous le vent d'est, était déserte. Le voilier avait disparu. Ils attendirent en vain, jusqu'à la nuit, le retour de lady Lamia et de son compagnon. Le surlendemain, un caboteur conduisit au port occidental le petit voilier de votre grand-tante. Il l'avait pris en remorque alors qu'il dérivait couché sur l'eau, vide et démâté, à douze milles au sud de Buena Vista. On ne trouva dans le bateau que le manche brisé d'un harpon.
– Une rafale a pu faire chavirer le voilier, risqua Pacal, bouleversé.
– On se plut, pendant quelques jours, à penser à un naufrage, jusqu'à ce que des pêcheurs de Cat Island rapportent qu'ils avait frôlé, au-delà de Rhum Cay un grand requin blanc, qui portait un harpon fiché dans dos. Ce qui ne semblait pas le gêner, ont-ils dit.
– Alors, Fish Lady l'a combattu. Et c'est peut-être lui qui a renversé la légère barque à voile. Sale bête.
– Pour l'occire à coup sûr, il faudrait un canon à harpon, comme ceux des baleiniers, dit Colson.
Comme Pacal se taisait, s'efforçant de dominer son émotion, le commandant, d'habitude si réservé, lui tapota affectueusement l'épaule et enchaîna :
» Depuis le drame, à la demande de lord Simon, des hommes parcourent les plages de la côte ouest, après chaque marée, à la recherche de débris. Quand j'ai quitté Soledad, il y a trois jours, l'Océan n'avait rendu qu'un bout de mât et quelques pieds de cordage. Il est vain d'espérer
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