Un paradis perdu
femmes, souffla l'officier.
Seule sur le terrain désert, Liz Ferguson, indifférente à l'averse, moulée dans sa robe de soie, collée au corps par la pluie, attendait, statufiée, qu'il approchât.
– C'est de la folie, lança-t-il, tandis que son compagnon, discret, s'éloignait à grands pas.
– L'eau de pluie est bonne pour le teint des femmes, répliqua-t-elle en secouant sa capeline dégoulinante.
Avec autorité, Pacal la coiffa de son casque de polo et, lui prenant le bras, l'entraîna vers les écuries où les lads bouchonnaient les poneys en sueur.
À l'abri du porche, elle sourit et ôta le casque.
– Vous vous êtes battu avec élégance, mais vous aviez affaire à des brutes, concéda-t-elle en s'essuyant le visage de ses gants.
– Le chevalier vaincu doit rendre à sa dame les couleurs qu'il n'a su honorer. Voici votre écharpe, dit Pacal.
Elle la prit à regret, réprima un frisson et, soudain, la lui rendit.
– Non. Gardez-la en gage. Si vous la conservez, nous nous reverrons, dit-elle.
Cheveux collés en accroche-cœur, maquillage délayé, robe fripée donnaient à cette femme l'air d'une fillette misérable et abandonnée.
– Ne restons pas ici. Je vous raccompagne chez vous, dit Pacal qui, sans attendre un acquiescement, ordonna à un lad d'aller quérir une voiture au plus vite.
En attendant qu'une carriole arrivât, il ôtât sa veste pour en couvrir les épaules de la jeune femme, puis, l'entourant d'un bras protecteur, l'attira contre lui.
Dans la carriole, ils reprirent spontanément la même posture et les regards échangés en silence attisèrent, plus que les mots n'eussent pu le faire, une complicité amoureuse naissante. Lizzie Ferguson se sépara de Pacal quand la voiture entra dans Bay Street.
– Pouvez-vous dîner avec moi ce soir, quand vos cheveux seront secs ? demanda-t-il gaiement.
– À sept heures, je serai là, accepta-t-elle sans hésiter quand Pacal se fit déposer devant l'entrée du Royal Victoria Hotel.
Il n'eut guère le temps de réfléchir à l'imprudente aventure dans laquelle il venait de s'engager : le portier lui fit savoir qu'il était attendu.
Lewis Colson, arrivé une heure plus tôt à Nassau, arpentait le hall. Pacal subodora, à la mine du commandant, qu'un malheur avait touché Soledad. Il pensa aussitôt à son grand-père, dont la santé ne cessait de décliner depuis des mois.
– Lord Simon ? interrogea-t-il abruptement.
– Non, Pacal, mais lady Lamia. Elle a disparu en mer le lendemain de votre départ. Lord Simon est très affecté et votre père m'a envoyé avec l' Arawak pour vous conduire à Soledad au plus tôt.
– Quand partons-nous ?
– J'ai maintenu les chaudières sous pression. Vous pouvez embarquer tout de suite, dit Colson.
– Le temps de boucler mon bagage et d'annuler un dîner, dit Pacal.
Dans sa chambre, il rédigea hâtivement un billet que le maître d'hôtel remettrait à son invitée quand elle se présenterait pour dîner, car il ignorait l'adresse de Lizzie Ferguson.
« Chère Madame, soudainement rappelé dans ma famille, j'ai dû embarquer cet après-midi sur le vapeur, envoyé par lord Simon pour me porter, de toute urgence, à Soledad. Je regrette d'avoir à prendre congé de vous si cavalièrement. Acceptez, avec mes excuses, l'expression de mon respectueux souvenir. » Et il signa : « Votre dévoué Pacal Alexandre Simon Desteyrac-Cornfield »
Cette lettre, d'un formalisme mondain, ne compromettait pas plus son auteur que sa destinataire.
Un sort malin, peut-être vigilant, interrompait ainsi une amourette qui, en dépit de la résolution, que Pacal avait prise après la mort de Viola, de ne plus jamais succomber aux charmes d'une femme mariée, eût pu l'entraîner dans une relation aux développements imprévisibles.
Dès l'appareillage, alors que s'annonçait le gros temps, Pacal rejoignit Colson sur la passerelle. Le commandant, mobilisé par la manœuvre du vapeur, n'avait pas eu jusque-là le temps de répondre aux questions que se posait son passager.
– Comment se peut-il que Fish Lady eût disparu en mer ? demanda le jeune homme quand l' Arawak eut pris le large.
– Triste, bien triste affaire, mon ami. Il y a quelques jours, les pêcheurs d'éponges de South Creek rechignèrent à plonger. Deux d'entre eux assuraient avoir vu, au
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