Un paradis perdu
son bureau –, elle avait vite soupçonné l'ébauche d'une relation amoureuse entre le maître de l'île et Susan Buchanan. Un sentiment qu'elle n'eût osé nommer jalousie la faisait se réjouir secrètement du départ des Américaines.
Le soir même, Pacal fit part à son père et à lady Ottilia de son intention d'épouser Susan Buchanan.
– Je me dois, comme promis à lord Simon, d'assurer la descendance des Cornfield de Soledad, expliqua-t-il, comme s'il devait justifier sa décision.
– Alors, il est temps en effet que tu te maries. Susan Buchanan peut paraître, bien qu'américaine et fort prude, un parti avantageux, dit Charles d'un ton neutre.
– Êtes-vous vraiment amoureux de cette belle fille ou avez-vous décidé de vous marier par devoir ? demanda Ottilia.
– Devoir et amour peuvent aller de pair, dit Pacal.
– Si cette conjonction existe, nous te souhaitons, Otti et moi, tout le bonheur possible, dit Charles.
Cette banalité confirma pour Pacal le manque d'enthousiasme paternel, mal dissimulé.
– Je vous en conjure, Pacal, ne vous mariez pas sans amour, implora Ottilia.
– Ce projet doit rester confidentiel, tant que je n'ai pas reçu l'acceptation formelle de Susan, exigea Pacal, coupant court à d'autres commentaires.
Susan Buchanan devait encore réfléchir, car la lettre de château que lord Pacal reçut de Boston, dans le délai protocolaire, était signée de tante Maguy. Seul un post-scriptum annonçait : « Ma petite-nièce Susan, très honorée comme toute notre famille de l'offre d'épousailles que vous lui avez faite, lors de notre départ de Soledad, me charge de vous dire qu'elle vous écrira bientôt. »
Ainsi, Susan avait fait part de sa demande et Pacal imagina toutes les discussions que cette proposition avait dû provoquer. D'où, sans doute, cette longue et agaçante attente.
Un mois plus tard, lord Pacal reçut la lettre de Susan. « Mon bien cher ami, le mariage constitue un lien d'une extrême importance, entre deux êtres qui ressentent l'un pour l'autre une mutuelle attirance. Si l'on en perçoit tout de suite les agréments, on ne peut en méconnaître les contraintes. Celles-ci doivent être évaluées par les futurs époux et par eux acceptées.
» C'est pourquoi, mon ami, que je crois avoir aimé dès le premier jour de notre rencontre, je dois, moi qui brûle de m'unir à vous pour la vie, mettre à mon consentement certaines conditions, propres à garantir la pérennité de notre entente. Mon père et notre notaire de Boston estiment que je puis demander à lord Pacal de s'engager sur les points suivants :
– 1. Nos enfants naîtront aux États-Unis et seront de nationalité comme d'éducation américaine.
– 2. Vous consentirez à me laisser visiter ma famille et séjourner en Nouvelle-Angleterre, avec ou sans vous, chaque année, pendant la saison d'hiver. Je ne pourrais mener une vie contraire à mes goûts, qui me portent vers la peinture, la musique et le théâtre, arts et distractions qui font défaut aux Bahamas.
– 3. Nous devrons aussi décider dans quelle religion seront élevés nos enfants. Même si nous sommes tous deux chrétiens, je suis épiscopalienne et vous êtes anglican de la Haute-Église.
» Tels sont les principaux points que notre notaire nous a conseillé de vous soumettre, afin de recueillir votre avis. Je dois aussi vous faire savoir que ma dot sera de vingt-cinq mille dollars.
» Je n'aurais pas accepté d'entendre votre demande si je n'étais pas convaincue qu'en me proposant de fonder avec moi une famille, vous pensiez aussi assurer votre propre bonheur. De ce jour, je vous considère donc comme mon fiancé.
» Je suis impatiente, mon très cher ami, de savoir qu'aucun obstacle ne nous empêchera de devenir mari et femme. C'est mon plus ardent désir, car j'ai trouvé en vous le parfait gentleman, digne en tout d'un sentiment dont j'ai découvert à Soledad qu'il se nomme amour. Votre aimante et sincère, Susan. »
Ce n'était pas la lettre que Pacal attendait. Il espérait un acquiescement enthousiaste et recevait une sorte de mémoire de notaire, assorti de sentiments un peu mièvres. Sa première réaction fut celle, catégorique imagina-t-il, qu'aurait eue son grand-père : « On ne dicte pas de conditions à un Cornfield. »
Après réflexion, Pacal en vint à considérer les circonstances
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