Un paradis perdu
et les mœurs puritaines. Après tout, le mariage était une association et, si la famille Buchanan O'Brien Metaz voulait traiter celui de Susan comme une affaire, autant entrer dans leur jeu. Cette perspective ne le gênait guère, car ce n'était pas une flambée de passion qui avait dicté son choix mais la nécessité, étant donné son âge, de contracter une union équilibrée et raisonnable.
« Ne vous mariez pas sans amour » avait recommandé lady Ottilia. Cette femme, longtemps malheureuse, devait son bonheur tardif à l'adulation qu'elle vouait à Charles Desteyrac, le seul qui l'eût comprise et aimée. Pour elle, la raison ne pouvait s'imposer sans l'amour. « Dans toute union conjugale, l'amour n'est-il pas affaire de dosage ? » se dit Pacal. Et il calcula, avec un rien de cynisme, qu'il suffit d'une once de connivence et de deux onces de désir pour qu'un mariage de raison soit aussi réussi qu'une union d'inclination.
Lord Pacal prit aussitôt sa plume et, s'efforçant de dominer son agacement, demanda à son tour un temps de réflexion, les conditions posées méritant examen. Il tenait ainsi à montrer qu'il assimilait, comme les Buchanan, le mariage à une affaire d'un genre particulier, où les sentiments ne pouvaient faire « méconnaître les contraintes qui doivent être évaluées par les futurs époux et par eux acceptées », ainsi que l'avait écrit Susan, sans doute sous la dictée d'un tabellion.
En réponse à sa courte missive, la fiancée répondit une lettre plus affectueuse, où perçait l'inquiétude d'avoir, par ses exigences, offensé son prétendant. Elle concluait : « Je suis certaine que votre générosité vous conduira à agir de manière à ne pas retarder le bonheur d'un heureux mariage et cela sans désobliger ma famille. »
Cette fois-ci, lord Pacal répondit qu'il acceptait les conditions énumérées par le notaire des Buchanan, mais qu'après avoir consulté son père et son propre notaire il entendait que fût ainsi réglé le sort des enfants à naître de leur union.
« S'il s'agit de filles, elles seront élevées dans la religion de leur mère, qui assurera leur instruction et leur éducation, en Nouvelle-Angleterre si cela convient. En revanche, s'il s'agit de garçons, ceux-ci seront élevés dans la religion de leur père, qui assurera leur instruction et leur éducation suivant la tradition britannique et le mode de vie des Cornfield. » Et Pacal ajoutait cet avertissement, de nature à faire réfléchir Susan et les siens : « Je me dois d'attirer votre attention, bien chère Susan, sur le fait que, s'il nous est donné un fils, qui naisse à Boston et soit, de ce fait, de nationalité américaine, celui-ci ne pourra, en aucun cas, prétendre à recevoir, à ma mort, le titre héréditaire de baronet Cornfield, réservé aux seuls sujets de Sa Très Gracieuse Majesté la reine Victoria. »
Il concluait : « Si votre bonheur dépend de votre union avec moi, sachez que je ferai tout pour vous rendre heureuse, même si je dois vous perdre pendant plusieurs semaines par an, au cours desquelles, à Boston, vous sacrifierez aux arts et aux spectacles, dont vous seriez privée à Soledad. Je ne puis vous garantir de passer ces semaines avec vous en Nouvelle-Angleterre, mes responsabilités m'interdisant de trop longues absences, surtout depuis que j'ai succédé à mon grand-père, lord Simon. Je vous promets solennellement, bien chère Susan, de faire tout ce qui sera en mon pouvoir pour vous témoigner une affection sincère et de tous les instants. Donnez-moi maintenant en toute franchise, sans arguties ni atermoiements, la réponse que j'attends. De tout cœur. Lord Pacal Simon Alexandre Cornfield. »
Cette fois, la réponse de Susan fut rapide, positive, fervente et lyrique. Lord Pacal était attendu à Boston pour une célébration officielle des fiançailles. Dans une lettre de félicitations, tante Maguy, dont Pacal savait déjà qu'elle remplaçait auprès de Susan la mère que celle-ci n'avait pas connue, proposait que le mariage fût célébré à Boston, en automne. Une troisième lettre d'Arnold Buchanan, père de Susan, exprimait la satisfaction de cet homme d'affaires d'avoir pour gendre un membre de l'aristocratie britannique « dont les ancêtres avaient contribué à la colonisation de l'Amérique ».
Lord Pacal acquiesça et, lors d'un dîner à Cornfield Manor, annonça officiellement
Weitere Kostenlose Bücher