Un paradis perdu
toujours.
– Heureuse, aussi, de vous revoir, meilleur cavalier que jamais. Et quel drive ! Vous avez écœuré les jeunots du Colonial Office.
– Il n'eût pas fallu que le match durât dix minutes de plus. L'âge est là, confessa Pacal.
– Il vous apporte aussi de quoi plaire aux très jeunes filles, dit-elle, rieuse, en posant l'index sur la tempe argentée de Pacal.
– Je crois me souvenir que, sur cette même pelouse, il y a dix-huit ans, j'ai plu sans cela à une demoiselle de quinze ans, n'est-ce pas ? rappela-t-il.
– C'était en 78. Quelle effrontée j'étais déjà ! Mais je n'ai retenu votre attention que cinq ans plus tard, toujours sur ce terrain. En somme, nous devons tout au polo ! s'exclama Lizzie, avec le rire perlé des jours heureux.
– Je dois assister au dîner d'ouverture du tournoi au Victoria. Acceptez-vous de m'accompagner ? demanda aussitôt Pacal.
– Si je vous accompagne, les bonnes langues des Ten Families diront : « La veuve et le veuf mêlent-ils leurs larmes ou se consolent-ils mutuellement ? » persifla Liz.
– Dans les deux cas, ils se tromperont. Ni larmes ni consolation. Le plaisir d'être ensemble ne suffit-il pas ? Et les commères penseront ce qu'elles voudront. Ne sommes-nous pas libres ?
Le soir, au Royal Victoria Hotel, on ne fut pas sans remarquer combien Liz Ferguson, moulée dans un fourreau mauve, le rose des veuves, discrètement maquillée, et lord Pacal, en habit et cravate noire, formaient un couple réservé et peu loquace. Celui de deux amis, éprouvés par le destin, dans leurs plus intimes affections.
– C'est très aimable de la part de la petite Ferguson de servir d' escort , à ce pauvre lord, déclara la plus écoutée des papoteuses de Nassau.
Elle donna ainsi, publiquement, le ton des commentaires, à reprendre dans les salons.
Si Pacal et son escort s'abstinrent de participer au bal, ce que tout le monde approuva, ce ne fut pas pour éviter les critiques phillistines. Ils avaient décidé de finir la nuit ailleurs, de manière plus intime et plus voluptueuse.
Au petit matin, dans la maison des hauts de Nassau, que sa cousine, Ellen Horney, avait cédée à Lizzie, les amants se réveillèrent avec le sentiment que leur duo amoureux, interrompu pendant plusieurs années, n'avait perdu ni en harmonie ni en brio.
– Nous venons d'ouvrir une ère nouvelle, dit Lizzie, dans un soupir d'aise.
– Ou de clore une parenthèse, rectifia Pacal en l'attirant sur son épaule.
Dès lors, leur relation retrouva les anciens rites, et lord Pacal conçut une justification à de plus fréquents séjours à Nassau.
Depuis longtemps, les importateurs américains et européens se plaignaient de la dispersion administrative et comptable des entreprises insulaires Cornfield. Pacal, prenant prétexte d'une gestion plus rationnelle de ses affaires bahamiennes, décida de réunir, sous la raison sociale Soledad Export Corporation, ses exploitations maraîchères et la conserverie d'ananas d'Eleuthera, les anciennes salines de Great Inagua, les plantations de sisal et de cascarille de Crooked Island, les pêcheries d'éponges des Bimini Islands et de Floride, ainsi que les ateliers, où l'on conditionnait écaille de tortue, coquillages, dents de requins et coraux – destinés à la bimbeloterie pour touristes et à l'exportation –, coquilles de conches, toutes acquises par les Italiens, qui en tiraient de beaux camées. Pour bâtir, à New Providence, l'île capitale, le siège de Soledad Export Corporation, lord Pacal fit appel à son ami Artcliff, dont le bureau d'étude subissait le contrecoup de la crise économique américaine, ce qui laissait quelques loisirs à l'architecte.
Thomas, comme beaucoup de ses compatriotes, de plus en plus nombreux, chaque année, à venir goûter le climat et les charmes naturels de l'archipel, tomba amoureux des Bahamas et il promit un plus long séjour à Soledad.
Tenant compte des restes d'une architecture coloniale britannique, il dressa les plans d'un petit immeuble coquet, sur East Bay Street, près de l'antique fort Montagu. Au-dessus d'un rez-de-chaussée réservé aux bureaux, Artcliff conçut, pour Pacal, un appartement avec loggia, donnant par-delà le bras de mer, port naturel de Nassau, sur Hog Island, ses jardins et ses plages. Les travaux en train, il regagna New York, promettant de revenir pour
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