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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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l'année et disait avoir appris la mort de Susan. Lizzie dosait avec tact des condoléances, dont la sincérité ne faisait pas de doute, mais dont l'expression nuancée prouvait qu'elle avait toujours considéré le mariage de Pacal comme union de convenance. Elle concluait en espérant une rencontre en 1896. « Le veuvage nous a tous deux réduits au célibat ! Le passé augure-t-il l'avenir ? » avait-elle écrit.
     
    Cette phrase raviva chez Pacal l'envie de renouer avec les menus plaisirs de la vie. Il avait, certes, retrouvé sur son île la sérénité qu'apporte l'alternance de l'action et de la contemplation, mais une sensualité bridée depuis des mois rappelait parfois sa très humaine exigence.
     
    Le cirque vallonné du Cornfieldshire, vaste paume ouverte, abritant le manoir et ses dépendances, était patrie des souvenirs, terroir où il se sentait le plus à l'aise, le plus proche de son père et de son grand-père. Les palmiers royaux, alignés au long des allées, tels des factionnaires des Life Guards, les massifs fleuris en toutes saisons, gardénias, orchidées, bromélies, roses porcelaine, les bosquets de flamboyants, de frangipaniers, de brésillets, les prairies où folâtraient les poneys, récemment arrivés d'Irlande, la route sinuant entre les buissons d'azalées et d'hibiscus, jusqu'au port occidental, le sentier grimpant vers Pirates Tower et, dans son écrin de pins caraïbes, le mausolée Cornfield : toute sa vie tenait dans ce décor, que lord Simon avait voulu édenique. Depuis qu'un jeune prêtre français s'était installé dans l'ermitage du mont de la Chèvre, et que le vent du sud portait, jusqu'au manoir, les tintements de la cloche, à l'heure de l'angélus, il n'espérait, chaque été, que la mansuétude d'Éole et de Neptune pour détourner les ouragans.
     

    Au fil des saisons, les journées se déroulaient sur un rythme immuable. Matinées réservées aux chevauchées, à la visite des chantiers, que conduisaient avec zèle les fils de Sima, le pêcheur d'éponges, formés par Charles Desteyrac ; tournée des ports où officiait Tom O'Graney ; chaque semaine, réunion des commandants de navire, pour l'affectation des transports et croisières, incursions impromptues au bourg des marins, emplettes au village des artisans. Souvent, lord Pacal franchissait le pont de Buena Vista, saluant au passage, comme tous, la plaque qui rappelait comment sa mère, Ounca Lou, Eliza Colson et le major Carver avaient trouvé la mort sur cette arche de fer, régulièrement repeinte en bleu. Ces jours-là, il trottait jusqu'au phare du Cabo del Diablo, se représentant toujours avec la même émotion la chute mortelle de son père. Ces pèlerinages fréquents attisaient toujours en lui la même révolte. Pourquoi les deux ouvrages construits par Charles Desteyrac avaient-ils causé la mort de leur bâtisseur et celle de la première femme qu'il eût aimée ?
     
    Chaque semaine apportait son lot de nouvelles, trop souvent tristes. Ce fut, d'abord, le naufrage du Cienfuego , paquebot de la Ward Line, qui coula devant Harbour Island, une petite île située à un mille et demi à l'est de la côte nord d'Eleuthera. C'est devant ce port naturel, assuraient les habitants, qu'en 1648 le William , commandé par le capitaine William Sayle, arrivant avec soixante-dix colons de la Compagnie des Aventuriers, avait déjà fait naufrage.
     
    Puis, on apprit qu'une nouvelle révolution venait d'éclater à Cuba, et qu'une querelle frontalière, entre le Venezuela et la Guyane britannique, opposait la Grande-Bretagne et les États-Unis. Se référant à la doctrine Monroe, propre à contrecarrer la colonisation de l'Amérique latine par des puissances européennes, le président Cleveland soutenait le dictateur vénézuélien, Joaquín Crespo, et l'affaire menaçait de dégénérer en conflit.
     
    À l'automne, un différend d'un tout autre ordre fit le fond des conversations, chez les yachtmen de Nassau comme au Boston Boat Club et au New York Yacht Club. Quand un navigateur canadien, du nom de Rose, émit l'intention de disputer l' America's Cup, lord Windham Dunraven, ancien sous-secrétaire aux Colonies, pilier du Royal Yacht Squadron et plusieurs fois mauvais perdant de la Coupe, s'y opposa : « Un Canadien n'est pas un Anglais et n'a donc pas droit aux privilèges d'un Anglais ! » Lord Simon n'eût pas dit mieux !
     
    En décembre, alors qu'il se préparait à partir pour la

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