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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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personne ne risquait la moindre allusion à la façon dont lord Pacal meublait la solitude de ses nuits.
     
    Le 22 juin, Nassau célébra, avec faste et ferveur, les soixante années de règne de Victoria, reine de Grande-Bretagne et d'Irlande, impératrice des Indes. Bien loin des Bahamas, la souveraine, âgée de soixante-dix-huit ans, ouvrit la journée, au palais de Buckingham, en pressant un bouton électrique. Ce geste, anodin mais symbolique, provoqua l'envoi simultané, dans toutes les colonies et protectorats de la Couronne, du télégramme que Victoria avait rédigé et que le gouverneur des Bahamas lut, plus tard, à Nassau, devant les assemblées et une foule d'invités, dont lord Pacal et Liz Ferguson.
     
    « Du fond du cœur, je remercie mon peuple bien-aimé. Que Dieu le bénisse. » Tel était le message. Ces mots simples, applaudis et répétés, causèrent une vive impression et ceux qui les entendirent, Britanniques ou indigènes, ressentirent soudain la fierté d'appartenir à la première puissance mondiale. Comme pour conforter l'unité supposée des peuples de l'Empire, répartis sous toutes les latitudes, les ordonnateurs avaient voulu, tenant compte des fuseaux horaires, qu'au même moment, tous les sujets de Sa Très Gracieuse Majesté puissent communier dans la même ferveur religieuse et impérialiste. De l'Inde au Transvaal, de l'Irlande à l'Égypte, de la Sierra Leone au Canada, du Tanganyika à Singapour, des îles Salomon aux Bahamas, tout avait été calculé pour qu'en un vaste chœur planétaire fût chanté le même Te Deum . Afin de respecter le souhait royal, les habitants de Nassau durent se lever tôt. Ils se réunirent, à la cathédrale anglicane et dans d'autres églises, à sept heures du matin, tandis qu'à Londres, au douzième coup de midi, Victoria descendait de carrosse devant la cathédrale Saint-Paul, où l'accueillait l'archevêque de Canterbury et de nombreux prélats. À Nassau, comme à Londres, on assista au Te Deum , puis on récita le Notre-Père avant d'entonner le psaume Jubilate Deo , un peu arrangé pour la circonstance et qui se terminait par un vœu unanime, adressé au Tout-Puissant en faveur de la reine :
     

    Garde-la, défends-la et guide-la toujours,
    Accorde-lui Ta paix, qu'elle règne longtemps,
    Et quand enfin Ton appel viendra,
    Libre de toute douleur, si Tu le veux,
    Emporte-la vers Ta demeure éternelle 8 .
     

    Le God Save The Queen mit fin à l'office et toute la population se rassembla, sur les trottoirs de Bay Street, pour assister au défilé d'un détachement du First West Indies Regiment , auquel s'étaient joints les équipages de plusieurs navires de l'escadre de la Jamaïque, en escale à Nassau.
     
    Dans l'après-midi, le gouvernement bahamien envoya un télégramme à Londres, pour souhaiter longue vie à la reine. Le message arriva au palais de Buckingham, où la souveraine, exténuée mais ravie, s'était retirée en répétant : « Jamais personne n'a reçu une ovation comparable à celle qui m'a saluée. » La nuit venue, après le dîner officiel, un feu d'artifice, tiré de Hog Island, illumina le ciel de New Providence, où l'on chanta et dansa jusqu'à l'aube.
     

    Au lendemain de ces festivités patriotiques, Pacal fut informé, par son notaire, d'une affaire qui risquait de faire mauvais effet à Londres. La plantation de Twin Lake Farm, à Andros Island, propriété des Chamberlain, était au bord de la faillite. Lord Pacal voudrait-il la racheter ? Après étude du cas, le maître de Soledad déclina l'offre. Le fait que le propriétaire de Twin Lake Farm fût Joseph Chamberlain, maintenant secrétaire d'État aux Colonies, dans le cabinet du conservateur Robert Cecil, et que son fils Neville, gestionnaire de la plantation, se fût montré, après sept ans d'exploitation, dans l'incapacité de produire du sisal en quantité suffisante, avait de quoi faire jaser au palais de Westminster.
     
    L'enquête, conduite à la demande de Pacal, par son fondé de pouvoir, révéla que les Chamberlain avaient été victimes de leur méconnaissance des insectes prédateurs et, peut-être des superstitions insulaires. Palako-Mata, le cacique des Arawak, assura que l'échec de l'entreprise était due au chickcharnie , animal mythique des Bahamas, sorte d'elfe à trois doigts de pied, aux grands yeux phosphorescents, couvert de plumes vertes, pourvu d'une barbichette, dont le cri discordant effrayait les enfants. Ce

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