Un paradis perdu
Floride, à bord du Lady Ounca , Pacal apprit, par une lettre d'Ann Tilloy, postée à Chicago, que Mark, son mari, le vieil ami de Charles Desteyrac, avait été amputé d'une jambe, à la suite d'un accident survenu alors qu'il participait à la première course d'automobiles organisée aux États-Unis, entre Chicago et Evanston, Illinois 5 .
« Il supporte vaillamment son amputation et attend l'arrivée de France d'un membre artificiel, pour reprendre ses activités. Lui qui m'a si bien entourée, lors de ma paralysie des jambes, mérite aujourd'hui tous mes soins », écrivait la fille de feu Jeffrey Cornfield.
À Palm Beach, chez les Cunnings, Pacal vit son fils George faire ses premiers pas avec hardiesse et rentra à Soledad satisfait. Ce garçon promettait robustesse et virilité, même si, d'après Fanny, il ressemblait un peu trop à ce bébé américain grassouillet, muni de gants de boxe et l'œil ardent, qui, sur les encarts publicitaires de Hood and Co, conseillait l'usage de la salsepareille, aux vertus dépuratives !
Souvent, la nuit, après le départ de ses invités, lord Pacal s'asseyait devant le grand Steinway et jouait les sonates de Mozart ou de Beethoven qu'il avait autrefois travaillées avec Ottilia. C'est alors qu'il ressentait, avec une acuité agaçante, que lui manquait la présence, la voix, le rire, le parfum, l'étreinte d'une femme. À ces moments-là, le souvenir de Lizzie, sur la plage d'Hog Island, s'immisçait dans ses pensées. Aussi, quand, en juin 1896, il embarqua pour Nassau, sur le vieux Phoenix II , avec Andrew Cunnings, venu de Floride, les lieutenants Anthony MacLay et Edward Carrington, dit le Balafré, et ses poneys, il allait, certes, participer au tournoi de polo, mais aussi, il n'osait le penser, d'abord, à la rencontre de Liz. Les lettres de la jeune femme, toujours franches et gaies dans leur expression, entretenaient, depuis des mois, l'espoir d'un rendez-vous.
Dès son arrivée au Royal Victoria Hotel, lord Pacal découvrit, avec le sourire, que, veuf, il devenait, à trente-neuf ans, un parti intéressant. Plusieurs notables, en quête de mari pour leurs filles, envoyaient des invitations à cocktails ou dîners d'après match, comme cela se pratiquait pendant la saison de polo. Les invitations concernant toute son équipe, il conseilla à MacLay et Garrington de s'y rendre, certains que ces beaux Anglais célibataires feraient d'excellents cavaliers pour des demoiselles en mal de soupirant. Peut-être auraient-ils des rivaux sérieux, parmi les officiers du HMS Buzzard , un destroyer de la Royal Navy, qui, en patrouille dans les West Indies, faisait escale à Nassau.
Sans les nouvelles recrues, MacLay et Carrington, le team Cornfield n'eût pas remporté le premier match contre l'équipe du club hippique de Nassau. Pacal et Andrew convinrent que l'âge, s'il laissait intactes leur audace et leur adresse, diminuait leur résistance à la fatigue.
Comme il l'espérait, c'est en marchant, harassé, son casque à la main, vers les vestiaires, que le Bahamien vit venir à lui Liz Ferguson. Il ralentit le pas, pour observer, avec un plaisir tout sensuel, cette petite beauté, amusante comme une poupée neuve. Il prit le temps de détailler sa silhouette de Tanagra et eut l'impression, dans le soleil déclinant, malicieux complice des transparences, qu'elle ne portait rien sous sa robe d'ennemie du corset. La soie animait ses formes d'une mobilité excitante. À plus de trente ans, celle qu'il avait connue à peine sortie de l'adolescence et qui, plus tard, avait été une maîtresse sans autre exigence que l'amour, lui inspira à nouveau une saine convoitise. En venant à sa rencontre, elle semblait effleurer le sol, démarche d'une danseuse entrant en scène. Le temps qui, au cours du match, avait rendu plus lourd son maillet et ôté de la précision à sa frappe, semblait, en revanche, ne pas avoir eu de prise sur Lizzie.
– On peut dire qu'elle a de la suite dans les idées, cette lady. Et le veuvage lui réussit diablement, souffla Cunnings, avant de s'éloigner pour laisser sans témoin les retrouvailles des amants d'autrefois.
Comme au jour de leur première rencontre, avec le même naturel primesautier, elle tendit une serviette à son chiffre, pour que Pacal épongeât la sueur de son front. Il retira ses gants moites et lui baisa la main.
– Heureux de vous voir, Lizzie, belle et fraîche, comme
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