Un paradis perdu
quarantaine, un charme singulier. Loin d'elle, Pacal, lors de ses rêveries aurorales, avait tenté de le définir : fraîcheur, aisance, netteté inaltérable. Il ne connaissait aucune femme plus aimable, au sens premier du terme. Elle vint à lui sur le quai, à petits pas, dans le soleil du matin. Une robe légère enveloppait d'un fluide coloré ce tanagra, dont les petits seins fermes pointaient sous la soie. Son regard bleu n'était que sourire.
– Le télégraphe sans fil est une belle invention. C'est gentil de m'avoir annoncé votre retour, dit-elle, contrainte de retenir en public une démonstration plus chaleureuse.
Celle-ci vint quand, le même soir, ils se réunirent chez elle et qu'elle put donner libre cours à la tendresse thésaurisée. Quand, après l'étreinte longtemps désirée, Pacal eut fait le bilan des mois passés en Angleterre et en France, Lizzie avoua n'avoir rien à rapporter.
– Ici, il ne s'est rien passé, sinon qu'on parle beaucoup de la guerre du Transvaal, qui ensanglante nos colonies d'Afrique du Sud depuis 1899. On dit que nous avons perdu huit mille morts, sur les cinq cent mille soldats britanniques envoyés là-bas.
– En France, j'ai constaté que les gens avaient plus de sympathie pour les Boers que pour les Anglais. Ils disent que les sociétés de chercheurs d'or et de diamants, soutenues par le gouvernement britannique, ont spolié les républiques boers, dont l'indépendance avait été, deux fois, reconnue par la Couronne, en 1881 et 1890, compléta Pacal.
Une semaine plus tard, avant qu'il ne quittât Nassau pour Soledad, Liz tint à montrer à son amant le premier terrain de golf de l'archipel. Établis près de Fort Charlotte, par la Florida East Coast Hotel Company, de Flagler, bâtisseur du nouveau Colonial Hotel, les links attiraient beaucoup de curieux au pied de la forteresse la plus imposante et la mieux conservée des Bahamas. Construit à la fin du XVIII e siècle, par les esclaves noirs, sur une colline dominant la côte ouest de New Providence, Fort Charlotte, ainsi nommé par lord Dunmore, en l'honneur de l'épouse du roi George III, avait abrité le Forty-seventh West Indies Regiment jusqu'à la dissolution de cette unité en 1891. Les touristes venaient maintenant s'y donner des frissons en découvrant le lieu d'écartèlement des condamnés et en arpentant des souterrains, peuplés de chauves-souris 6 .
Le parcours de neuf trous, semblable à ceux dessinés en Angleterre, depuis que le golf avait été importé d'Écosse en 1869, couvrait un bel espace gazonné. Les joueurs, la plupart Britanniques, résidents ou de passage, appréciaient ce jeu, qu'ils qualifiaient volontiers de sport.
Lord Pacal trouva enfantine l'activité qui consistait à faire entrer, successivement, dans des trous éloignés d'une centaine de mètres les uns des autres, sur un itinéraire bucolique truffé d'obstacles, la même petite balle de caoutchouc en la frappant avec une crosse légère, appelée club .
– Le polo est un jeu viril, parfois brutal, le lawn tennis un sport qui demande vélocité, muscle et coup d'œil, mais le golf me paraît réservé aux vieux messieurs et aux dames en manque d'exercice, ironisa-t-il.
À Soledad, lord Pacal fut satisfait de constater qu'en son absence les affaires avaient été gérées au mieux par Elíseo García Padilla, assisté de Matthieu Ramírez et de Violet. Seule la santé, qui allait se dégradant rapidement, de Dorothy Weston Clarke inquiétait la communauté du Cornfieldshire. Avant de quitter l'île pour la Floride, où il passerait Noël avec son fils, chez les Cunnings, Pacal rendit visite à la vieille dame. Sans cacher sa lassitude, elle le reçut avec gratitude et émotion.
– Vous ne me reverrez pas, mon ami. Quand vous reviendrez, en 1902, je serai morte et enterrée. Aussi, je veux vous dire, pendant qu'il en est encore temps, qu'Albert et moi avons vécu heureux à Soledad. Si le paradis existe, il doit ressembler à cette île. Lord Simon a su nous faire oublier nos déceptions passées et vous êtes son digne successeur. Quand je serai partie, prenez soin de mon mari. Il n'a aucun sens pratique. Il faudra l'aider à vivre encore un temps.
– Je vous le promets, s'engagea Pacal.
– Maintenant, dites-moi adieu, mon ami. Non, ne soyez pas triste. J'ai fait mon temps sur cette terre et je n'ai dû qu'à mon mauvais caractère d'être peu
Weitere Kostenlose Bücher