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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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d'Angleterre, la Mère mystérieuse , d'Horace Walpole, les Contes arabes , de William Beckford, mais plus souvent l'Anneau et le Livre , ouvrage étrange de Robert Browning, dans une belle édition de 1869, cadeau de lady Jane.
     
    Fin octobre 1901, rassasié d'air vif, de méditations vespérales, de cochonnailles, de potée roborative, de promenades dans les champs, d'excursions en montagne, lord Pacal décida de regagner les Bahamas. Les premières neiges couronnaient les monts Dore, prémices du rude hiver auvergnat, quand il se mit en route, après avoir promis son retour l'année suivante.
     
    Après une brève étape à Paris, où la fermeture des écoles libres, après celle des couvents et congrégations, suscitait des manifestations de rue, alors que se préparaient au départ les automobiles engagées dans une course de mille deux cents kilomètres entre Paris et Berlin, il embarqua au Havre, sur La Savoie , dernier-né de la Compagnie Générale Transatlantique. Ce luxueux paquebot assurait, en six jours, la liaison sur l'Atlantique nord, à la vitesse de vingt nœuds.
     
    Le Bahamien ne se fit, cette fois, aucune relation parmi les passagers. Il apprécia, en solitaire, les menus raffinés du bord, se rendit souvent aux concerts, donnés dans le grand salon, passa des après-midi sur le pont, dans une chaise longue, lut beaucoup et, au bal du soir, fit alternativement danser deux Allemandes. Amies célibataires, bâties comme des grenadiers et gaies luronnes, elles formaient un couple dont il se fit, par amusement, sans risques ni profit, chevalier servant.
     
    Ce fut au cours de la traversée que le voyageur prit conscience d'un phénomène qui affectait sa notion des durées. Il avait, depuis son séjour en Europe, la bizarre sensation d'une accélération de la marche du temps. Si les journées conservaient leur plein d'heures et d'activité, les semaines, les mois, semblaient s'être succédé à un rythme plus rapide que par le passé. Il venait de vivre, sans qu'il y prît garde, près d'un an hors de chez lui. Quand New York fut en vue, il crut l'avoir quittée la veille. Thomas Artcliff, chez qui il séjourna en attendant un passage pour Nassau, écouta les considérations de son ami sur la marche du temps et les compléta.
     
    – Plus qu'une accélération, ce que nous ressentons est une contraction du temps. J'y suis, comme toi, sensible. Cela vient avec l'âge, dit-il en montrant son crâne dégarni.
     
    – Les heures ont toujours soixante minutes !
     
    – Certes, mais comme nos obligations et nos travaux se sont multipliés, et que tout va plus vite qu'autrefois, les trains, les bateaux, les automobiles et même les communications – la radio telegraphic transmission permet, depuis peu, de converser par ondes radioélectriques avec un correspondant à Londres –, nous sommes soumis à des rythmes nouveaux. Or, en prenant de l'âge, il nous faut, aussi, plus de temps qu'autrefois pour accomplir la même tâche. D'où cette impression déroutante que les heures, les semaines, les mois, et même les ans, raccourcissent, et que les aiguilles de nos montres tournent plus vite, développa Thomas.
     
    – Et tout regard sur le passé augmente la sensation de fuite accélérée du temps. Réalises-tu que nous nous connaissons depuis un quart de siècle ? ajouta Pacal.
     
    – Et que nous aurons, tous deux, quarante-cinq ans l'an prochain, compléta Thomas.
     
    – Désormais, tout est pente !
     
    – Assez parlé du temps qui passe et de nos cheveux blancs ou fugueurs, Pacal ! Allons dîner. Après, en fumant un havane, nous tâterons d'un vieux bourbon du Tennessee – vingt ans d'âge –, que je viens de recevoir !
     
    – Heureuse proposition. Pour bourbon et porto, le temps qui passe est meilleure affaire que pour l' Homo sapiens , conclut Pacal, ponctuant son propos d'une chaleureuse bourrade dans les côtes de Thomas.
     
    Après un repas arrosé de vin français, ils trouvèrent si bon arôme au bourbon qu'ils asséchèrent le flacon. Entre « le passé qui n'est plus » et « le futur qui n'est pas encore », les deux amis avaient savouré le « maintenant », dont Aristote avait eu tort de dire « qu'il est insaisissable ».
     

    Lord Pacal éprouva plus de contentement qu'il ne l'avait imaginé en retrouvant Lizzie Ferguson, à Nassau. Fidèle, d'humeur égale, attentive avec discrétion, cette blonde, d'aspect fragile, conservait, au seuil de la

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