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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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disparu des Bahamas ». C'est pourquoi, à l'issue de leurs travaux, les ornithologues demandèrent aux autorités coloniales de protéger les flamants bahamiens 13 . En Grande-Bretagne, les militants de la protection des oiseaux ayant protesté contre l'emploi de plumes de geai sur les chapeaux, celles-ci avaient été remplacées par des plumes de poulets !
     
    Un dîner et un bal mirent fin au congrès. Lord Pacal, qui, après la perte de Lizzie, n'avait pas le cœur à ces mondanités, quittait le Royal Victoria Hotel pour rentrer chez lui, quand Estelle Miller le rejoignit dans le hall de l'hôtel.
     
    – Mon collègue, John MacTrotter, m'a décrit les espèces qui vivent, en toute tranquillité, sur votre île, mais quand je lui ai fait part de mon souhait de voir les oiseaux qu'elle héberge, il m'a dit : « Soledad est une propriété privée. Pour y débarquer, il faut y être autorisé par lord Pacal Desteyrac-Cornfield. »
     
    – Eh bien, soyez mon invitée quand il vous plaira. Plutôt après la période des ouragans, dit Pacal.
     
    Estelle Miller remercia, promit sa visite et regarda Pacal s'éloigner.
     
    – Le beau lord des Bahamas – c'est ainsi qu'on l'appelle en Angleterre – est un des derniers hobereaux des îles. Il ne doit pas trouver notre assemblée assez distinguée pour dîner avec nous, persifla un délégué américain, qui s'était indiscrètement rapproché.
     
    – C'est, en tout cas, un homme d'excellente éducation, répliqua la Louisianaise, avant de tourner les talons.
     

    De retour à Soledad, lord Pacal se félicita d'avoir conseillé à l'ornithologue Estelle Miller d'attendre le printemps suivant pour répondre à son invitation. Une succession d'ouragans, d'une rare violence, ravagea Grand Bahama et les Bimini Islands. En dépit des risques encourus, il décida d'aller se rendre compte des dégâts occasionnés dans sa pêcherie d'éponges de South Bimini. C'est là que résidaient ses pêcheurs, placés sous l'autorité du petit-fils du regretté Sima.
     

    Au printemps 1906, avant de se rendre, comme chaque année, en Auvergne, lord Pacal Desteyrac-Cornfield dut faire un séjour à Londres, pour représenter les Bahamas à l'exposition coloniale organisée dans la capitale de l'Empire. Il sut si bien, au cours de quelques conférences, devant des importateurs, et parfois des membres de la famille royale, vanter les produits coloniaux, qu'il fut nommé chevalier commandeur du Royal Victorian Order. Il put désormais ajouter à la suite de son nom, sur ses cartes de visite, les initiales KCVO 14 , ce qui eût réjoui lord Simon.
     
    Une fois de plus, il trouva Paris en pleine effervescence, à cause de l'inventaire des biens d'église, décidé par le gouvernement, après la loi de séparation de l'Église et de l'État. Depuis le 6 mars, les prêtres et les paroissiens tentaient de s'opposer aux agents du fisc, chargés d'inventorier le contenu des sanctuaires. La police intervenait pour protéger les percepteurs, et des bagarres avaient éclaté devant les églises Saint-Pierre-du-Gros-Caillou et Sainte-Clotilde. En Alsace, dans l'arrondissement d'Hazebrouck, un paroissien, un boucher nommé Ghyseel, avait été tué d'une balle de revolver par le fils du percepteur, fort malmené, malgré la présence de la troupe et des gendarmes. Moins tragique et plus drôle : le curé et les fidèles de Montjoie, une petite commune de l'Ariège, faisaient interdire l'entrée de l'église du village aux agents du fisc et au commissaire de police par deux gros ours pyrénéens, peu respectueux d'une laïcité imposée. Ces incidents venaient de provoquer la chute du gouvernement, présidé par Maurice Rouvier. L'ancien avocat, ami de Gambetta, avait fait voter la loi de séparation et ordonné les inventaires. La crise politique passa au second plan quand mille deux cents mineurs de charbon trouvèrent la mort, au cours d'une catastrophe, à Courrières, dans le Pas-de-Calais. Le deuil national fit taire les querelles politico-religieuses.
     

    Au fil des années, Esteyrac, où lord Pacal évoluait comme un enfant du pays, était devenu, pour le Bahamien, maître de Soledad et gérant de l'empire Cornfield, un lieu de repos et de méditation. Dans la vieille gentilhommière, il coulait des jours sereins. Solitude, silence, lecture, étude des dossiers que lui envoyait Violet, décisions réfléchies, lettres à Liz Ferguson dans lesquelles il s'étendait sur

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