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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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répliqua Thomas en riant.
     

    En 1905, plusieurs événements animèrent la vie quotidienne à Nassau. Le 24 mai, sir William Grey Wilson, nouveau gouverneur, dévoila, dans le square du Parlement, une statue de la reine Victoria en albâtre blanc. Généreusement traitée en jeune beauté, ce qu'elle n'avait jamais été, roide et sévère sur son trône, portant un regard souverain sur les passants, feu la reine fut acclamée par une foule admirative. Après le God Save the Queen , le photographe du Nassau Guardian fit poser, devant la statue, les dames de l'Imperial Order of the Daughters of Empire, toutes vêtues de longues robes blanches et chapeautées de canotiers, garnis de mousseline.
     
    Cette cérémonie fournit à lord Pacal l'occasion de présenter sa fille à tout ce qui comptait dans la bonne société bahamienne. À quinze ans, Martha offrait tous les charmes prometteurs d'une jolie femme. Une année au Queen's College avait suffi pour la préparer à l'examen d'entrée au Rutgers College d'où Ounca Lou, sa grand-mère, était sortie autrefois, première Bahamienne diplômée d'ichtyologie. Au cours de l'année, Martha avait reçu de fréquentes visites de son père, à qui elle écrivait, chaque semaine, des lettres en français. Liz Ferguson, correspondante désignée, l'avait souvent conduite aux bains de Hog Island, à des concerts, à des vernissages d'exposition. À l'issue des matches de polo, renonçant à son privilège, Liz avait envoyé la jeune fille porter à son père la serviette brodée, comme elle avait osé le faire, une première fois, quand elle avait son âge.
     
    En plein été, se tint, à Nassau, la première réunion annuelle de la National Audubon Society 11 , ainsi nommée en hommage à l'illustre ornithologue Jean-Jacques Audubon. Ce Français, Louisianais d'adoption, avait parcouru l'Amérique du Nord pour dessiner tous les oiseaux rencontrés. Venus assister à cette réunion constitutive, les ornithologues les plus éminents d'Europe et d'Amérique débarquèrent à New Providence. Lord Pacal, propriétaire d'une île où la chasse aux oiseaux exotiques était prohibée, avait accompagné John MacTrotter, l'ancien comptable de lord Simon, qui, depuis sa retraite, étudiait et protégeait les oiseaux de Soledad. Dans le parc de Cornfield Manor, ses volières, où s'ébattaient des douzaines d'oiseaux, émerveillaient les visiteurs. Lors de la présentation des délégués étrangers, Pacal fit la connaissance de celle de New Orleans, Estelle Miller. Cette ornithologue d'une trentaine d'années, professeur de sciences, lui fit une forte impression. Non seulement parce qu'elle passait pour tout connaître de la vie et des œuvres de l'illustre Jean-Jacques Audubon, mais parce qu'émanait d'elle une force tranquille, reflet d'une nature vaillante et équilibrée. Plus jeune, elle eût pu prétendre à la beauté de type nordique. Haute taille, cheveux blond cendré, yeux verts, teint frais, muscles longs, hanches rondes, buste ferme lui conféraient un charme viril, tempéré par la douceur d'une voix de contralto.
     
    Pacal jaugeait aisément les femmes. Il vit tout de suite qu'Estelle Miller ne cherchait pas à plaire, attitude propre à éveiller le désir de conquête, pour qui tout est challenge. Ornithologue réputée, elle oubliait son sexe et traitait, d'égal à égal, avec ses confrères masculins. Tandis qu'elle rappelait à l'assemblée la vie aventureuse de Jean-Jacques Audubon, le lord se prit à imaginer que la Louisianaise avait fait le tour des jeux anodins de l'amour et ne portait plus intérêt qu'aux oiseaux exotiques.
     
    Au cours de leurs entretiens, les protecteurs de la gent ailée rappelèrent aux Bahamiens que leur archipel comptait plus de deux cent trente espèces d'oiseaux, du perroquet à l'oiseau-mouche, de la buse au vautour, du héron bleu au colibri, du cormoran au flamant rose. Ce fut ce dernier, emblème de l'archipel qui retint, le plus, l'attention d'Estelle Miller, car le flamant des West Indies, plus grand et d'un plus beau plumage rose que les flamants d'Europe et d'Amérique, était menacé d'extinction. Depuis toujours, les insulaires le chassaient, pour ses plumes et sa chair au goût de poisson. Déjà, Charles B. Corey, le premier ornithologue à visiter les Bahamas, en 1880, avait donné l'alerte en écrivant, dans son ouvrage The Birds of the Bahama Islands 12 , « à l'arrivée du prochain siècle, le flamant aura

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