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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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Créateur après l'éviction d'Adam et Ève. Aussi, quand, au printemps 1907, fut publiquement révélée la teneur d'un rapport scientifique américain sur l'état sanitaire et démographique des Bahamas, les insulaires furent saisis d'une sainte colère. Du plus aisé négociant de Nassau au plus pauvre pêcheur des Out Islands, des membres influents de la General Assembly aux modestes fonctionnaires coloniaux, tous virent dans ce constat un injuste dénigrement.
     
    Le contenu du rapport, longtemps réservé aux universitaires du Maryland, risquait de créer un incident diplomatique.
     
    L'expédition scientifique, financée en juin et juillet 1903 par la Geographical Society, de Baltimore – « à qui personne ne demandait rien », fit remarquer lord Pacal – avait été conduite par George Burbank Shattuck 1 , professeur de physiologie à Johns Hopkins University, le géologue Benjamin Miller, du Bryan Mawr College, un médecin, le docteur Clement A. Penrose et un ornithologue, J. H. Riley. Ils avaient visité certaines Out Islands, élisant pour sites de référence Spanish Wells, sur Eleuthera, et Hope Town, sur Elbow Cay, à Great Abaco, la deuxième île de l'archipel, par la taille. Comme par hasard, ces îles étaient celles où résidaient en plus grand nombre les descendants des loyalistes, ces colons anglais qui, en 1776, avaient préféré l'exil à la citoyenneté américaine.
     
    Les savants visiteurs, après des considérations sur l'origine corallienne des îles, la capture d'oiseaux, de reptiles, et la cueillette de plantes, rapportaient qu'ils avaient rencontré « un peuple pauvre et sans espoir » et que les loyalistes, fiers de leur origine, s'appliquaient « à maintenir l'intégrité de leur sang par des mariages consanguins, dont les résultats étaient pathétiques ».
     
    Dans ces familles, les enquêteurs signalaient de nombreux cas d'ataraxie locomotrice. Ils avaient examiné des aveugles de naissance, des nains, des gens pourvus d'un ou deux doigts de plus que la normale, aux mains ou aux pieds – anomalie congénitale qu'ils nommaient polydactylie –, et le docteur Clement A. Penrose écrivait : « Le niveau mental est plus que bas. » Et de citer une famille qui comptait cinq membres atteints d'idiotie, l'arriération mentale la plus profonde. La conclusion des Américains ne pouvait réjouir quiconque dans l'archipel. « Les générations futures tomberont dans le même bas état de dégénérescence. Il est clair que la communauté blanche isolée, qui se voit elle-même comme supérieure aux gens de couleur, est en danger d'extinction. » Pour les enquêteurs, le seul remède consistait, non seulement à faire cesser les mariages consanguins en introduisant du sang neuf dans les familles, mais aussi « à revivifier les îles avec de nouvelles idées, de nouveaux équipements et un meilleur état sanitaire 2  ».
     
    À Cornfield Manor, bien que la communauté blanche du Cornfieldshire connût les conséquences des mariages consanguins, on émit un soir, autour de lord Pacal, de vigoureuses protestations contre l'enquête conduite dans le milieu loyaliste. Pendant la guerre de Sécession, cette communauté avait fourni les meilleurs soutiens aux fournisseurs en armes du Sud, ce qui, un demi-siècle plus tard, déplaisait encore aux Yankees.
     
    Soledad, où les mariages consanguins étaient rares, même chez les Arawak et les Noirs, du fait de l'apport fréquent de sang étranger par les marins de la flotte Cornfield, les nouveaux résidents et les familles des émigrés, de retour au pays, on ne s'estimait pas visé par les conclusions du rapport de la Geographical Society. On craignait, en revanche, qu'il ne fût un nouvel argument, fourni au gouvernement américain, soucieux de la santé de ses touristes, pour annexer l'archipel.
     
    – Ils se sont bien approprié les Philippines, Porto Rico, Guam, Hawaii, et ont colonisé Cuba ! Pourquoi hésiteraient-ils à s'emparer des Bahamas, si ça leur chante ? dit Lewis Colson.
     
    – Ce serait la guerre avec l'Angleterre. Le roi Édouard VII ne permettrait pas une telle amputation de l'Empire, répliqua John Maitland.
     
    – Vous savez tous que nous coûtons à la mère patrie beaucoup plus que nous ne lui rapportons. Les Américains pourraient donc s'épargner les affres d'une guerre en achetant l'archipel, comme ils ont acheté la Louisiane à la France, en 1803, et l'Alaska aux Russes, en

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