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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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toilettes n'étaient pas dans le ton des mondanités anglaises du Cornfieldshire.
     
    – Je sais qu'on ne me trouve pas très féminine ni très élégante. Il est vrai que je n'aime guère les fanfreluches et les bijoux. Il est vrai, aussi, que je n'appartiens pas, hélas, à l'heureuse caste des gens riches et sans soucis. J'enseigne les sciences naturelles dans un collège huppé de New Orleans, qui paie fort mal ses professeurs. Les oiseaux exotiques améliorent ma situation, car mes conférences ont du succès, et mes aquarelles, copies des planches d'Audubon, sont vendues à Jackson Square, dit-elle.
     
    – Ce ne sont pas les toilettes coûteuses et les bijoux qui font le charme d'une femme. Vous n'avez pas besoin de fanfreluches et de diamants pour plaire, croyez-moi, dit Pacal, badin.
     
    Elle sourit et lui tapota affectueusement l'avant-bras, quand il l'invita, comme chaque soir, à passer un moment sur la galerie, avant qu'elle ne regagne Malcolm House. Lord Pacal savourait alors un vieux whisky en fumant un cigare, tandis qu'Estelle buvait une tisane de sassafras, dont elle disait ne pouvoir se passer pour bien dormir.
     
    – J'ai cru comprendre dans vos lettres, surtout depuis le décès de votre mère, que son existence et la vôtre n'ont pas été exemptes d'épreuves. Cela explique peut-être vos silences soudains, vos rêveries, j'allais dire vos absences, et une certaine mélancolie, que je devine en vous. Je ne voudrais pas être indiscret, mais avant de nous séparer, si des soucis vous accablent, peut-être pourrais-je vous aider, dit Pacal.
     
    Elle fixa un instant les palmiers du parc, dont les pennes frémissaient sous l'alizé, hésitant à parler. Quand elle s'y résolut, ce fut avec une détermination presque brutale.
     
    – Il ne s'agit pas de soucis. C'est ma dissimulation à votre égard qui me pèse. Je m'en vais demain et j'ai peur de ne pas avoir mérité votre confiance et toutes vos gentillesses. Peur qu'un jour vous me reprochiez un silence déloyal, peur que vous me méprisiez…
     
    – Vous mépriser !
     
    – Parce que je suis une bâtarde ! Une fille née hors mariage, de père inconnu et d'une femme admirable, mais fautive, dit Estelle d'une voix sourde.
     
    Lord Pacal quitta son fauteuil, vint à elle, lui mit la main sur l'épaule.
     
    – Voyons, calmez-vous. Il n'y a rien de méprisable dans cette situation. Seul, est méprisable l'homme qui séduisit votre mère et l'abandonna, dit Pacal.
     
    – Cet homme n'a jamais eu vent de mon existence. On ne peut donc le condamner. C'est seulement la veille de sa mort que ma mère m'a révélé son nom, en me faisant promettre de ne jamais le prononcer, ajouta Estelle.
     
    Lord Pacal regagna son siège, se servit du whisky, mira la couleur ambrée du breuvage dans la lumière rosée du couchant, but une gorgée et, respectant le silence d'Estelle, tira une bouffée de son cigare.
     
    Après un silence délibéré, elle reprit avec effort ses confidences.
     
    » Il faut que vous sachiez qui je suis. Je ne veux pas qu'un secret subsiste entre nous, sur mes origines. Si notre relation doit se poursuivre, ce que je souhaite, vous devez savoir, oui, vous devez savoir, qui est le père que je n'ai jamais vu, reprit-elle, rageuse.
     
    – Soledad contient son lot de secrets. Le vôtre sera ici bien gardé, assura Pacal, l'esprit en éveil.
     
    – Oh, je crains que vous ne trouviez mon cas banal. Ma mère, née Victorine Tranchet, dans une famille de Français émigrés en Louisiane, s'était fiancée, en 1860, au fils d'un planteur, Richard Miller, de qui je porte, de fait, le nom, alors qu'en droit, pour l'état civil, je suis née Tranchet. Quand, en avril 1861, éclata la guerre entre les États du Nord et ceux du Sud, Richard Miller s'engagea dans l'armée sudiste. Mais, avant qu'il ne rejoigne son unité, the Fifth Cavalry Regiment , les fiancés tinrent à se marier. Ils ne devaient jamais se revoir. Le capitaine Richard Miller fut tué, sur la James River, en Virginie, près de Richmond, le 8 avril 1865, la veille de la reddition de Robert Lee au général Ulysses Grant. Il avait été le septième officier à relever le drapeau du régiment. En mourant, il le passa au général William Tampleton, qui perdit un bras dans cette bataille. La paix revenue, ce général rendit visite à ma mère et lui raconta la mort héroïque de son mari. C'est lui aussi qui, pour mon malheur, revint la voir, des

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