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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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en fusion, se saisissaient, dans un cliquetis cuivré, des matrices des caractères d'imprimerie pour composer, sous la frappe d'un typographe, mots et lignes. Cette composition mécanique, plus rapide que celle à la main, n'était rendue possible que par l'énergie électrique, maintenant distribuée à New Providence.
     
    Au lendemain de cette cérémonie, après s'être assuré que la sépulture de Liz Ferguson était entretenue, comme il l'avait recommandé, lord Pacal prit place à bord du vapeur de la Muson Line. Deux jours et demi plus tard, sous une pluie battante, il salua la statue de la Liberté dans la baie de New York.
     
    Comme à chacune de ses escales, le Bahamien évalua le développement d'une ville où roulaient trente mille automobiles, dans des rues qui paraissaient de plus en plus étroites, à cause de la hauteur croissante des immeubles.
     
    – Nous vivons le temps des bâtisseurs. New York compte, depuis peu, quatre millions d'habitants, qu'il faut loger, qui ont besoin d'ateliers, de bureaux, d'écoles, d'hôpitaux, de restaurants, de théâtres, dit Thomas Artcliff en accueillant Pacal dans son cabinet, au douzième étage d'un immeuble de Manhattan.
     
    Cette activité débordante, nerveuse, impatiente, d'une ville où les gens couraient du matin au soir, pour faire du dollar, puis le placer ou le dépenser, comme s'ils étaient déjà poursuivis par la mort, rebuta lord Pacal.
     
    Aussi fut-il bien aise, après avoir vu sa fille Martha et passé trois jours de dissipation, entre Broadway et Harlem, avec Artcliff, de s'embarquer pour la France, où l'on semblait encore prendre le temps de vivre.
     
    Il arriva au Havre alors qu'on célébrait, comme partout dans le pays, un événement déjà qualifié d'historique par les journalistes. Le 25 juillet, Louis Blériot avait traversé la Manche à bord d'un aéroplane monoplan de sa fabrication. Volant à quatre-vingts mètres au-dessus de l'eau, l'aviateur avait parcouru les quarante kilomètres qui séparent Sangatte de Douvres, en trente-huit minutes, à une vitesse parfois supérieure à soixante-dix kilomètres à l'heure.
     
    – Les Anglais vont comprendre que la Manche n'est plus une frontière, dit, tout faraud, le douanier français en visant le passeport britannique du lord.
     
    Dans le train pour Paris, Pacal lut les journaux : les mots exploit et progrès revenaient à chaque ligne. L'homme qui, depuis le malheureux Icare, rêvait de se déplacer dans les airs comme l'oiseau, venait, après quelques volettements peu convaincants, de tenir la distance. L'exploit était d'autant plus remarquable qu'il s'était déroulé au-dessus de la mer.
     
    Ingénieur formé au MIT, lord Pacal eût dû se montrer un adepte enthousiaste de l'invention, or il commençait à douter de la générosité et de l'altruisme du dieu Progrès. Né au temps de la machine à vapeur et de la lampe à pétrole, le Bahamien suivait, depuis un demi-siècle, la marche irrépressible du démiurge inspiré, censé vouloir le bonheur de l'homme, l'atténuation de ses peines, l'abolition des distances, la domestication de la nature. Dans le sillage orgueilleux des sciences et des techniques, émergeaient sans cesse des besoins nouveaux, des envies subites, des cupidités sournoises, des jalousies, des frustrations, des violences.
     
    L'homme traversait l'Océan en cinq ou six jours, il s'entretenait par télégraphie sans fil avec les plus lointains correspondants, même si ceux-ci se trouvaient à bord des navires en mer. Le train et l'automobile le transportaient de plus en plus vite et, maintenant, l'avion, se riant des obstacles terrestres, lui permettait de passer sans contrôle les frontières. Partout, l'électricité triomphait de la nuit et animait, proprement, toutes sortes de machines. Parmi les dernières trouvailles, la téléphotographie permettait de transmettre des images à distance, la radiographie faisait apparaître, sur un écran, le squelette humain, le phonographe rendait la parole aux morts et le cinématographe restituait aux défunts les gestes de la vie. Dans le même temps, le dieu Progrès offrait aux belliqueux des armes de plus en plus meurtrières. Partout, dans les empires coloniaux, les colonisés, mieux informés, commençaient à prendre conscience de leur servitude. Du Maroc au Tonkin, de la Côte d'Ivoire à la Turquie, de la Perse au Mexique, de la Russie à la Chine, partout, des hommes s'entretuaient, au nom

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