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Un paradis perdu

Un paradis perdu

Titel: Un paradis perdu Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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de la liberté ou du profit.
     
    Dans les pays industrialisés, en Grande-Bretagne, en France, aux États-Unis, les travailleurs, exigeant de meilleurs salaires pour s'offrir les commodités étalées sous leurs yeux, fomentaient sans cesse des grèves. Malgré ses promesses, le dieu Progrès restait impuissant devant les tremblements de terre, les inondations, les éruptions volcaniques, la peste, le choléra, la famine. Dans les prisons anglaises, on fouettait encore les détenus récalcitrants, en Arabie, on lapidait les femmes adultères, au Yémen on coupait toujours la main des voleurs, en Corée les Japonais tranchaient la tête de ceux qui refusaient l'occupation nippone.
     
    De tout cela, lord Pacal prit conscience pendant la traversée, au cours de laquelle il se tint à l'écart des mondanités, regrettant parfois qu'il ne se trouvât pas à bord, comme autrefois, une Domenica docile, pour distraire la solitude de ses nuits.
     
    Lors de l'étape parisienne, il vit, au théâtre du Châtelet, danser Waslaw Nijinsky dans Giselle , sur une musique d'Adolphe Adam, d'après un argument de Théophile Gautier, et le Pavillon d'Armide , du compositeur Nicolas Tcherepnine. Défiant les lois de la pesanteur, le jeune Russe semblait voler, plutôt que bondir, avec une grâce sans égale, au-dessus des planches. Le perfectionnement, cette fois, n'était que celui de l'artiste en son art. La compagnie de ballets de Diaghilev fit que Pacal reprit confiance en l'homme.
     

    L'été à Esteyrac eut le pouvoir de rendre au lord la sérénité, mise à mal par les audaces de la technique. Les Auvergnats, gens de bon sens, peu portés à l'emballement pour les nouveautés, ne retenaient des dons de la modernité que ceux qui facilitaient les travaux de la terre. Cette année-là, le village vit circuler le premier tracteur, propriété du maire.
     
    – Cet engin a un grand appétit d'essence et d'huile. Son service est plus coûteux que celui d'un cheval, nourri à l'avoine des prés, et qui produit de quoi fumer nos potagers, fit observer le père Trévol à Pacal.
     
    Le paysan reconnut, toutefois, que l'autocar qui, deux fois par semaine, desservait bourgs et hameaux – ce qui permettait d'aller chez le dentiste – avait du bon.
     
    – Encore que, dépenser deux francs pour aller en ville, où l'on est tenté par les vitrines – les femmes surtout ! – d'acheter des choses dont on se passe depuis toujours, n'est pas une aubaine pour le porte-monnaie, ajouta-t-il.
     

    Ayant refait son plein de sagesse élémentaire, lord Pacal regagna son île ensoleillée et fut enchanté, au commencement du printemps 1910, de revoir Estelle Miller, ponctuelle au rendez-vous. Ils reprirent les rites instaurés l'année précédente et, dès le premier dîner à Cornfield Manor, tous constatèrent que la Louisianaise avait fait un effort de toilette. Nouvelles robes à ramages, chignon construit, visage poudré, pommettes rosies, lèvres rouges, elle eût été agréable à regarder si elle avait assumé avec aisance cette transformation. Mais ces apprêts ne lui allaient guère. Sa personnalité ne supportait pas un tel travestissement, qui incita les dames du Cornfieldshire à sourire et lord Pacal à lui dire, plus tard, franchement, qu'il la préférait sans maquillage ni falbalas. Estelle le remercia de cet aveu et leur intimité s'en trouva renforcée.
     
    Il estima que sa relation avec Estelle changeait de tonalité. Sur la galerie, à l'heure de la tisane de sassafras et du whisky, Estelle prit l'habitude de prolonger la conversation, pour retarder le moment de la séparation. Un soir de mai, alors que les chauves-souris, comme étonnées de ces présences tardives, voletaient au-dessus de leurs têtes, Pacal, désignant les mammifères ailés, prévint Estelle.
     
    – Elles aiment s'agripper aux cheveux. Si elles reconnaissent en vous une amie de la gent volante, vous allez être assaillie, plaisanta-t-il.
     
    Estelle, mimant la frayeur, rapprocha son siège de celui de Pacal.
     
    – Vous me protégerez, minauda-t-elle.
     
    Il lui prit la main et sentit qu'elle répondait à la pression de ses doigts. Encouragé, il lui passa le bras autour des épaules et l'attira contre lui. Comme elle ne marquait nulle réticence, il s'enhardit, lui effleura la joue d'un baiser, qu'elle rendit avec simplicité, avant de se dégager.
     
    – Nous sommes vraiment de bons amis, n'est-ce pas ? Mais il est tard,

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