Un paradis perdu
cafétéria.
Sur le stade, au jour du match entre les équipes des universités rivales, que toute l'Amérique suivait avec passion, lord Pacal et Thomas Artcliff prirent place sur les gradins, au milieu des supporters de Harvard, vêtus de rouge, couleur de l'équipe. Ils faisaient face à ceux de Yale University, en bleu et violet. Abasourdi par les sons discordants des crécelles, trompes, tambours et par les cris, chants, hurlements, vociférations de quarante mille spectateurs, le Bahamien eut du mal à reconnaître son fils, parmi les joueurs, vindicatifs comme des gladiateurs. Casqué de cuir, les tibias protégés par des jambières, George, qui, dans son maillot rouge, jouait quart arrière, lui parut plus guerrier que sportif.
S'il fit l'admiration de son père, l'étudiant, par son audace, sa vélocité, sa façon d'agripper l'adversaire, de l'écraser au sol avec brutalité, enflamma la frénésie de ses admiratrices. Cou tendu, regard de feu, elles jetaient des cris âpres, exhortaient, poings serrés, leur héros à se battre, essuyaient avec leurs gants la sueur de leur front, bien qu'en cette fin novembre le froid fût vif.
Toute cette énergie dépensée, sur le stade, en suc musculaire, horions, crocs-en-jambe, étranglements, dans les gradins, en enrouements, bénéficia à Harvard, qui battit Yale, ce qui n'arrivait pas souvent. Ceux qui, quelques heures plus tôt, s'étaient disputé un ballon avec férocité, comme s'il se fût agi de la Toison d'or, oublièrent les coups échangés et firent, ensemble, la fête toute la nuit.
Le lendemain, dans l'après-midi, en accompagnant son père jusqu'au tombeau des Buchanan, où reposait sa mère, George annonça son intention de s'engager pour la guerre. Le bruit courait à Harvard, après la création d'une académie militaire, que les étudiants pourraient former un régiment de volontaires, dès que Wilson serait contraint de renoncer à une neutralité, perçue comme peu honorable.
– C'est l'arme nouvelle, l'aviation, qui m'intéresse. Les journalistes assurent que l'avion, qui a fait d'immenses progrès, sert à l'observation et aussi au bombardement des positions ennemies. Pense qu'un de nos pilotes a réussi à faire décoller son Curtiss du pont du Birmingham , ancré devant Hampton Road, en Virginie. On voit, en France, au-dessus des champs de bataille et des tranchées, des duels aériens, que se livrent aviateurs français et allemands. Comme les tournois des chevaliers d'autrefois, dit l'étudiant.
– J'aurais ton âge, je ferais de même, répondit Pacal, donnant ainsi un accord implicite.
Il fallut que l'on apprît à Washington, par les services secrets, que, le 31 janvier 1917, le Kaiser avait décidé de reprendre la guerre sous-marine, pour que le gouvernement américain s'émeuve. Dans le même temps, on découvrit que le gouvernement allemand avait proposé au gouvernement mexicain une alliance active, si les États-Unis entraient en guerre. En échange d'une aide militaire pour l'invasion des États-Unis, les Mexicains récupéreraient, au Texas, en Arizona et au Nouveau-Mexique, les territoires dont les Américains les avaient dépouillés en 1848. Le moment d'une telle proposition semblait bien choisi. Quinze mille soldats américains, commandés par le général John Pershing, venaient de pénétrer de plus de cinq cents kilomètres au Mexique, pour tenter la capture du chef de bande Pancho Villa, assassin de dix-huit citoyens de l'Union.
La reprise de la guerre sous-marine était devenue effective, dès le 3 février, quand un submersible allemand avait envoyé par le fond le navire américain Housatonic . Le 1 er avril, on déplorait le torpillage de sept autres navires américains, et plusieurs paquebots de la Compagnie Générale Transatlantique avaient été coulés. Quarante-huit citoyens des États-Unis avaient péri au cours de ces attaques.
Wilson, qui avait déjà rompu les relations diplomatiques avec l'Allemagne, convoqua le Congrès et lui demanda de voter la déclaration de guerre à l'Allemagne. Ce fut chose faite le 6 avril 5 . Aussitôt, George décrivit à son père la satisfaction des étudiants de Harvard University.
« Le maréchal Joffre, René Viviani, ancien président du Conseil français, et le marquis de Chambrun, descendant du marquis de La Fayette, sont attendus. Nous leur réservons un accueil patriotique. Nous apprenons tous la
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