Un paradis perdu
nous faire comprendre les dangers et la grandeur des combats, expliqua-t-il à son père.
Quelques semaines après cette journée mémorable, George annonça son départ pour Kelly Field, au Texas. Il y passerait douze semaines d'instruction théorique au pilotage des avions, suivies d'une période de préparation en vol, à Roosevelt Field, Long Island, New York. De là, il serait sans doute envoyé à l'école de pilotage de sir Frederick Handley-Page, en Angleterre. Sir Frederick, ingénieur électricien, avait construit et fait voler le premier bombardier bi-moteur capable de porter une bombe de huit cents kilos. Son école assurait aussi le perfectionnement des pilotes de chasse. C'est après cette dernière probation que le jeune Américain pourrait être affecté à une escadrille.
Le général Pershing s'était embarqué pour la France, le 28 mai, à bord du Baltic et, le 12 juin, après accord avec le gouvernement français, les premiers soldats américains, mille hommes de l'infanterie de marine, avaient été accueillis au Havre, par une foule chaleureuse. Cette fois, l'Amérique entrait en guerre, comme on entre en croisade.
Par les lettres de Martha, lord Pacal put imaginer les destructions causées en France par trois années de combats. En se rendant d'un hôpital à l'autre, la jeune femme médecin disait avoir traversé des centaines de villages en ruine. Elle comptait, par dizaines de milliers, les blessés, par centaines de milliers, les morts. « Spectacle de désolation, misères physiques et morales d'une atroce brutalité. J'ai le sentiment que les Allemands ont été pris d'une rage de destruction inhumaine et souvent inutile. Je me demande aussi comment, après des rafales d'obus qui creusent tous les dix pas de profonds cratères, des hommes peuvent survivre. Dans les tranchées, des soldats français ou anglais dorment adossés à des murs de boue. Ils sont résignés, ne se plaignent pas ; c'est comme s'ils avaient déjà accepté leur sort. Les blessés de la dernière attaque sont portés par des camarades, dans les postes de secours, que les obus n'épargnent pas toujours. Après les premiers soins, les plus gravement atteints sont évacués vers l'arrière, par nos fourgons automobiles de la Croix-Rouge, ce qui ne va pas sans risques pour le personnel infirmier. Un de nos conducteurs d'ambulance, le sergent Osborne, a été tué en juin. Nous l'avons enterré au camp de Châlons-sur-Marne », écrivait Martha.
George ayant achevé sa formation au sol, puis goûté la griserie du premier vol, se préparait à partir pour la France. Lord Pacal voulut être présent, au jour du départ de son fils et, le 6 juillet, il vit des étudiants de Harvard University, devenus militaires, des fils et des filles des premières familles du Massachusetts, engagés par la Croix-Rouge, embarquer à Boston, sur le paquebot Espagne , à destination de Bordeaux. À partir de ce port, aménagé pour recevoir les gros contingents de l'armée des États-Unis allant au front et leur matériel, les élèves aviateurs se rendraient en Angleterre. Ce serait la partie la plus dangereuse du voyage, les sous-marins allemands patrouillant sans cesse dans la Manche.
Lord Pacal s'en fut attendre, à New York, le télégramme qui lui annoncerait l'arrivée de son fils. De Bordeaux, George lui écrivit une lettre euphorique.
« La traversée fut excellente, sans la moindre alerte. Nous avions à bord le compositeur Cole Porter, vedette du Glee Club, de Yale University. Il s'est engagé, pour la durée de la guerre, comme ambulancier. Il nous a fait danser, car nous ne manquions pas de cavalières et nous a, cent fois, joué la Bobu Link Waltz . Maintenant, je vous rassure, je ne traverserai pas la Manche en bateau, mais en avion, sur un Handley-Page, qu'un instructeur rapatrie en Angleterre, pour révision. Je serai à la place de la bombe, mais le pilote m'a promis de ne pas ouvrir la soute en vol ! »
Au long des mois qui suivirent, Pacal fut attentif aux nouvelles des combats qui se déroulaient en France. Si les premiers mois de 1918 avaient renforcé le moral des Allemands, débarrassés des Russes et des Roumains, après leur demande d'armistice, l'été leur fut défavorable sur le front occidental. Dès l'automne, ils ne purent plus soutenir les offensives alliées. Ce que confirmait Martha, d'après les confidences reçues d'officiers américains blessés. En
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