Un paradis perdu
découvrit avec étonnement la transformation d'Anacona, la petite Cubaine, élevée et adoptée par lady Lamia, qui renouvelait ainsi avec l'orpheline ce qu'elle avait fait autrefois pour Ounca Lou.
Anacona, dite Fleur-d'Or, de qui on célébrait le seizième anniversaire, était devenue une belle jeune fille, aux cheveux cuivrés et au regard de jade, en contraste avec sa carnation de bronze rosé, qui ne pouvaient surprendre que les étrangers. Les insulaires, eux, devinaient aisément chez elle une ascendance espagnole, altérée par les métissages. Cuba, depuis des siècles sous domination ibérique, offrait en effet tous les types créoles. À la rentrée, Anacona, de religion catholique, serait envoyée à Nassau, au collège tenu par les religieuses bénédictines, réputées pour la qualité de l'enseignement et de l'éducation qu'elles dispensaient. Ce soir-là, Pacal lui promit une visite à Buena Vista, pour une baignade avec elle et Fish Lady, et une partie de croquet, jeu auquel, d'après Lamia, sa partenaire habituelle, Anacona, excellait.
Si le jeune homme emprunta souvent le boghei de son père pour se rendre à Buena Vista, on le vit aussi prendre le train, dont l'exploitation avait été confiée à Takitok, le petit-fils préféré du cacique des Arawak. La promotion par lord Simon, comme directeur de Soledad Railroad, de l'ami d'enfance de Pacal, avait été une des dernières joies de Maoti-Mata. Dans le microcosme insulaire, une telle responsabilité inspirait la considération. Le défunt eût été bien aise de voir se reconstituer autour de Pacal, le temps des vacances, la joyeuse bande d'autrefois. Ses arrière-petits-enfants, Nardo et Kameko ; les filles de Wyanie, Shakewa et Shakera ; Shana, la petite-fille de Sima – on vantait sa beauté, et ses cheveux roux, bouclés, la distinguaient de toutes les jeunes filles du village des pêcheurs –, tous adolescents, garçons et filles, vouaient au fils de Charles et d'Ounca Lou, futur lord et maître de l'île, une véritable affection et une admiration raisonnée.
Dès le lendemain de son retour, Pacal reprit ses habitudes avec son grand-père : chevauchée matinale avant le breakfast, partie d'échecs en fin d'après-midi, ou conversation sur la galerie, les soirs où le garçon dînait au manoir.
L'étudiant montait maintenant un grand demi-sang plein de vivacité, mais il devait réduire son train, ne voulant pas que son grand-père, qui allait sur soixante-quinze ans, se risquât à le suivre, incité par un tempérament intrépide et le refus des atteintes de l'âge. À la demande d'Uncle Dave, d'un an plus âgé que le maître de l'île, Pacal avait été invité à la prudence. « À son âge, une chute pourrait être fatale », avait prévenu le médecin.
Depuis cet avertissement, on ne sautait plus haies et barrières et l'on trottait plus souvent qu'on ne galopait. Lord Simon n'était pas dupe de la modération imposée par son petit-fils et il appréciait en secret les attentions, et surtout les moyens, qu'employait Pacal pour ménager son amour-propre de cavalier vieillissant.
La fin des vacances approchait – les cours reprendraient dès le premier lundi de septembre – quand, à la fin d'une journée d'août étouffante, alors que Pacal, ayant dîné à Cornfield Manor, se prélassait sur la galerie, en fumant son premier havane, lord Simon en vint à une question plus intime.
– Et pour les filles, comment ça se passe, à Cambridge ? J'imagine que des gaillards comme toi et ton ami Artcliff, pleins de sang et de vigueur, ne sont pas sans aller aux filles, hein ?
– Nous avons quelques demoiselles discrètes, qui reçoivent les étudiants. Les sophomores et seniors seulement. Mais on ne doit pas leur rendre visite sans une boîte de candies , avoua Pacal en riant.
– Des prostituées, bien sûr. Mais penses-tu aux maladies ? Sais-tu que, pendant la guerre de Sécession, un soldat sudiste sur dix a attrapé la vérole. Chez les Nordistes, quatre-vingt-deux sur mille combattants. Alors, attention ! Un coup de pied de Vénus peut faire autant de dégât qu'un coup de pied de cheval !
– Les étudiants de l'École de médecine nous ont prévenus. Ils disent veiller à l'innocuité de ces personnes. On sait où on va.
– Étant donné que tu es en âge et que nous sommes entre hommes, il y a mieux que les prostituées. Je te conseille les femmes
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