Un paradis perdu

mariées. Certes, existent des maris jaloux et tu dois veiller à ne pas te mettre un duel sur les bras.
     
    – En Nouvelle-Angleterre, les lois condamnent l'adultère, mais un mari trompé ne cherche plus à tuer son rival. Il fait un procès en divorce et demande des dommages et intérêts à l'infidèle. L'amant se doit alors d'aider sa maîtresse à payer. Ça peut coûter cher.
     
    – Malgré ces risques, la femme mariée reste, crois-moi, et en dépit de la morale, ce qu'il y a de mieux pour l'étudiant. C'est ainsi que nous pratiquions à Oxford. Je fréquentais l'épouse d'un apothicaire qui, en plus de ses charmes, m'offrait de la réglisse.
     
    – À part la réglisse, quels autres avantages offre la femme mariée ? ironisa Pacal.
     
    – La femme mariée a des occupations, des horaires ; elle est soucieuse de sa réputation. Elle ne vous prend donc pas beaucoup de temps et ne coûte pas trop cher en cadeaux car elle devrait en expliquer la provenance au mari. Avec une femme mariée, on est aussi garanti contre une maternité intempestive. La loi romaine s'applique, même chez les Américains : is pater quem nuptiae demonstrant 2 .
     
    – Tiens !
     
    – Surtout, ne pas toucher aux jeunes filles rencontrées dans le monde, si l'on ne veut pas se trouver marié avant l'heure. Or, tu es, non seulement, beau garçon, mais aussi ce qu'on appelle un beau parti. Un petit-fils de lord, un futur lord, ça doit intéresser les mères américaines, qui chassent le mari pour leurs filles. Tout ce qui est aristocrate a la cote, chez les nouveaux riches.
     
    – Je ferai mon profit de vos conseils, dit Pacal, qui ne pouvait avouer son aventure avec Viola, épouse de Bob Lowell.
     

    Un jour, l'étudiant accompagna son père jusqu'au chantier du phare du Cabo del Diablo. Le premier chargement de granit du Massachusetts étant arrivé, les ouvriers taillaient les pierres, travail délicat, car il s'agissait de donner à chacune, au moyen de gabarits, les dimensions et la courbure exactes pour assurer un jointage parfait des blocs, qui devraient être assemblés en cercles superposés pour former un tronc de cône.
     
    – L'an prochain, aux vacances, je compte que nous serons près de terminer la tour. Ne restera plus qu'à la coiffer du dôme qui abritera l'optique et l'appareil à feu. J'ai déjà commandé cet ensemble à Paris, chez Barbier-Benard-Turenne, qui, depuis vingt-cinq ans, équipe tous les phares construits dans le monde. Avec les nouvelles lampes à kérosène et les lentilles de Fresnel, notre feu portera à dix-huit miles, expliqua Charles Desteyrac.
     

    Quand vint le jour du départ de Pacal, l'ingénieur et Ottilia décidèrent de l'accompagner à Nassau. Montèrent aussi, à bord de l' Apollo , lady Lamia et Anacona, attendue au collège des bénédictines. À l'arrivée à New Providence, au moment de la séparation, alors que Pacal allait embarquer pour New York sur le navire de la Cunard, la jeune Cubaine ne put retenir ses larmes. Personne ne sut si ce chagrin lui venait de l'éloignement pour un an de celui qui avait été, pendant deux mois, un aimable camarade de jeu ou de la perspective d'une claustration avec des religieuses réputées sévères.
     

    Dès son retour à Cambridge, Pacal trouva à se loger, avec Artcliff, chez une veuve austère, qui interdisait toute visite féminine, la cigarette dans les chambres, l'introduction d'alcool et de bière. Les principaux attraits de cet hébergement étaient le confort, la propreté et aussi la qualité du petit déjeuner et du repas du soir, dus à une cuisinière italienne, gourmande comme une chatte.
     
    Les cours de quatrième année, déterminants pour l'obtention du diplôme de Bachelor of Sciences , éloignèrent les deux amis des distractions futiles. Ils consacrèrent leurs loisirs aux sports et, dès que Pacal eut reçu les poneys offerts par son grand-père, ils n'eurent de cesse de figurer, ensemble, dans la meilleure équipe de polo de l'université.
     
    Une seule fois, au cours des mois qui suivirent, Pacal reçut des nouvelles de Robert Lowell, maintenant confortablement installé à Pittsburgh, sa ville natale, où il dirigeait une entreprise du groupe de Carnegie. En quinze lignes, l'ancien professeur développait, non sans fierté, les responsabilités et avantages de sa situation, mais une ligne avait suffi pour assurer le Bahamien que Viola et les enfants étaient en bonne santé. Il concluait en