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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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croisée, à côté de Marat couvert jusqu’aux trois quarts de la poitrine par le sabot de la baignoire. Seuls sortaient ses épaules, ses bras reposant sur la tablette couverte de journaux et de papiers, qui lui servait à travailler dans son bain. Il prenait des notes en écoutant la jeune fille. Il s’interrompit pour examiner la potion et dit à Simone qu’elle pouvait ôter un peu de l’argile. Elle allait sortir, quand elle se ravisa pour enlever, sur le rebord de la fenêtre entrebâillée, deux plats contenant des cervelles et des ris de veau que Jeannette avait mis au frais sur la cour. Il était temps de les faire cuire, on souperait sitôt la visiteuse partie. Simone emporta les plats à la cuisine.
    Elle venait à peine de les poser sur la table qu’elle entendit Jean-Paul pousser une espèce de cri rauque. Elle courut, ouvrit vivement la porte. « À moi ! ma bonne amie », râla-t-il, et aussitôt sa tête se renversa dans la lumière de la croisée. Un gros jet rouge lui jaillissait de la poitrine, cascadait sur le cuivre de la baignoire, sur le carrelage de briques où il formait déjà une mare serpentant vers la chambre à coucher. D’un seul geste, la meurtrière avait frappé, enfoncé et retiré le couteau. Il reposait sur la tablette, parmi les papiers et les journaux détrempés de sang. Elle, très pâle, le cœur soulevé, s’appuyait contre la fenêtre, serrant sa jupe.
    Aux hurlements de Simone, Catherine, Jeannette, la citoyenne Aubin étaient accourues. Profitant de leur affolement, Charlotte avait gagné l’antichambre où le commissionnaire, lâchant le papier qu’il apportait, s’était jeté sur elle.
    « Cherchiez-vous à vous sauver ? questionna Gaillard-Dumesnil.
    — Oui, si j’avais pu. »
    Et, comme Legendre croyait reconnaître en elle une femme venue à son domicile avec des manières suspectes :
    « Le citoyen se trompe, je ne suis jamais allée chez lui. Sa mort n’importait pas au salut de la république.
    — Depuis quand avez-vous formé votre affreux projet ? lui demanda Claude.
    — Depuis que sa nécessité s’est imposée à moi.
    — Ne serait-ce pas plutôt à force d’entendre les députés en fuite déclamer contre Marat ?
    — Personne ne m’a dicté mon dessein, je l’ai dit.
    — Dicté, non, j’en suis sûr, mais c’est la folie des Brissotins qui vous anime, et vous venez de les condamner tous à mort. »
    À côté, dans la chambre, les médecins, qui n’avaient pu que constater le décès de Marat, préparaient le corps. Jeannette, la citoyenne Aubin, avec des aides bénévoles, s’affairaient à laver, éponger, faire disparaître les éclaboussures et les horribles coulées. On entendait le bruit des seaux, les balais de chiendent raclant les planchers, le carrelage, poussant l’eau sanglante dans l’escalier, dans la cour et, par-dessous la porte cochère, dans le ruisseau.
    De la rue montait une énorme rumeur. Le premier noyau de la foule se tassait devant la maison, sous la pression des gens qui affluaient de toute part. À ceux du quartier ou des environs s’ajoutaient maintenant ceux des faubourgs, et aux habitués des Cordeliers, des Jacobins, de la Convention, de la Commune, tous les curieux de Paris. Dans la nuit chaude, que leur entassement rendait étouffante, ils s’écrasaient non seulement sous la tourelle de la maison mitoyenne à celle du crime, devant celle de Danton, devant les Cordeliers dans la rue de l’Observance, au carrefour de la rue du Paon, mais encore depuis la rue de La Harpe jusqu’au carrefour de Bussi, au portail monumental du marché Saint-Germain.
    Bien entendu, Nicolas Vinchon était devant la maison même, accouru dès que la première rumeur avait atteint la rue de Seine. Il suait et ne voyait rien. Il ne se rendait pas compte qu’il piétinait dans le ruisseau le sang délavé de Marat. Comme les autres, il contemplait les fenêtres vivement éclairées, projetant leur lumière sur l’amas de visages tendus, et derrière lesquelles passaient des silhouettes en ombres chinoises.
    Par moments, la porte cochère s’entrebâillait puis se refermait avec un bruit sourd, un comparse du drame se glissait dehors. Assailli de questions, il s’ouvrait avec peine un chemin dans la foule où ses propos circulaient en se déformant. La meurtrière, disait-on, portait la cocarde noire. C’était une royaliste envoyée par les Brissotins de Caen pour séduire par sa beauté les chefs

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