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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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triomphantes. Landau débloqué, Spire tombant au pouvoir de l’armée de Moselle, les Autrichiens chassés d’Alsace, repassant en hâte le Rhin, c’était autant de coups pour sa politique à lui, qui aurait eu besoin de défaites. Alors il serait apparu comme le sauveur. De quoi pouvait-on sauver une nation en train d’imposer irrésistiblement sa force à tous ses ennemis ? De la terreur : rançon de ces victoires. De l’angoisse, de l’énorme ennui pesant sur la France et dont il sentait lui-même le poids. Cette morne vie, trop bête, ces hommes trop cruels, il les prenait en dégoût. « Rien ne vaut plus la peine. Tout est foutu ! » répétait-il. Il déclarait à ses amis : « Nos succès nous coûtent plus cher que des défaites. Notre diplomatie à coups de canons nous vaudra la guerre perpétuelle. Nous battrons-nous pendant vingt ans, jusqu’à l’épuisement total ? » Au temps où il était si fort partisan de la guerre, même de la guerre conquérante, où il fixait à la Convention le tracé des frontières de la république, c’est exactement ce que lui rétorquait Claude. De fait, Danton avait échoué dans la conduite de la guerre, comme dans la conduite de la diplomatie. Nul ne l’écoutait plus sinon les royalistes, les ci-devant fédéralistes et les mécontents : commerçants, industriels, honnêtes ou non, en révolte contre le maximum, ouvriers que les Comités de Salut public et de Sûreté générale envoyaient en prison quand ils prétendaient faire grève pour obtenir une augmentation de salaires, fermiers, propriétaires, contraints sous peine de mort de livrer leur blé aux greniers publics. Ainsi Danton, un peu malgré lui, mais entraîné par son inconséquence, sa turbulence et son avidité, devenait l’homme de la réaction, l’espoir de tous ceux qui voyaient dans une paix de compromis le moyen d’en finir avec un régime odieux.
    Claude se demandait si Desmoulins se trompait de bonne foi en prêtant sa plume à cette réaction. En réclamant si haut l’indulgence, n’obéissait-il pas, comme Danton, à un intérêt qui divorçait d’avec celui de la nation ? Désir peut-être de protéger les siens et ses amis. Il disait lui-même que, seuls, trois des témoins de son mariage : Robespierre, Danton et Claude, subsistaient encore, tous les autres ayant été guillotinés, dont six en même temps que Brissot. Et la suspicion planait sur la famille Duplessis. Mais aussi ambition, envie de retrouver la célébrité qu’il avait perdue. Loin de briller à la Convention, où son défaut de langue lui interdisait pratiquement la tribune, il avait glissé peu à peu dans l’obscurité. Voilà qu’avec son thème de l’indulgence, il remontait en pleine lumière. Le Vieux Cordelier se vendait presque autant que Le Père Duchesne. Camille était trop homme de lettres pour ne point s’attacher à ce succès. Il devait pourtant sentir les risques de sa position.
    Il les sentait, effectivement. Exclu des Cordeliers, menacé aux Jacobins, il percevait le refroidissement de Robespierre qui ne le suivait plus dans sa campagne. Si Maximilien le défendait encore contre les Cordeliers ultras avec une sorte de commisération dédaigneuse, il ne lui cachait pas sa réprobation, sa croissante défiance. Même le grand ami Fréron, le Lapin, réprouvait ses appels à l’indulgence. Il écrivait de Toulon où il demeurait en mission :
    « Le Loup-garou (c’était Camille) doit tenir en bride son imagination relativement à ses comités de clémence. Ce serait un triomphe pour les contre-révolutionnaires. Que sa philanthropie ne l’égare pas. Qu’il se contente de faire une guerre à outrance aux patriotes d’industrie. » Or, au premier rang de ceux-ci se trouvaient particulièrement des Dantonistes. Fréron-lapin regrettait Monsieur Hon-hon, Bouli-Boula (toujours Camille) et le bon Rouleau (Lucile), « le thym et le serpolet dont les jolies mains à petits trous le nourrissaient », il se souvenait des idylles, des saules, des tombeaux, des éclats de rire de la jeune femme, lectrice à la fois de Young et de Grécourt. Il la revoyait, disait-il, « trottant dans sa chambre, courant sur le parquet, s’asseyant une minute à son piano, des heures entières dans son fauteuil, rêvant, puis faisant le café à la chausse, se démenant comme un lutin et montrant ses dents comme un chat ». Il l’imitait dans son langage : « Qu’est-ce que ça me

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